Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

Victime de son opposition déclarée à la guerre de Tchétchénie, le réformateur Grigori Iavlinski, leader de Iabloko, paie son rejet courageux de l'« establishment » politique russe d'une décevante troisième place, avec 5,6 % des voix, juste devant le communiste dissident et allié officieux du président par intérim Aman Touleïev (4,6 %), les autres candidats se partageant les miettes. Au lendemain de cette victoire électorale dénuée de passion, qui doit sans doute plus au fatalisme des électeurs qu'à leur enthousiasme, le « deuxième président » de Russie prononcera un discours à la hauteur de son programme, brillant par l'absence de propositions concrètes pour régler les problèmes d'un pays dont une grande partie de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté. Renvoyant l'annonce de ce programme et la nomination d'un nouveau gouvernement au lendemain de son investiture solennelle, début mai, Poutine déclarera que les Russes, qui ne l'ont d'ailleurs pas élu sur de vaines promesses électorales, ne devaient « pas s'attendre à des miracles » de sa part. Une mise au point qui a au moins le mérite de l'honnêteté, qualité qu'il prétend cultiver et qui lui a valu les faveurs de l'électorat, autant sans doute que son patriotisme affiché au service d'une Russie dont il affirme vouloir restaurer le statut de grande puissance après l'humiliation infligée par l'OTAN durant la guerre du Kosovo.

Encore faut-il que le nouveau président russe puisse, ou veuille, s'émanciper de la tutelle pesante du clan eltsinien et des puissants oligarques qui ont permis sa fulgurante promotion jusqu'aux plus hautes sphères du pouvoir en utilisant des procédés d'une loyauté sujette à caution et qui espèrent continuer à tirer les ficelles de leur « matriochka ».

Rien ne dit que M. Poutine, dont le premier décret de président par intérim a été d'accorder l'immunité à son mentor Eltsine, pour congédier il est vrai un peu plus tard au Kremlin sa fille et éminence grise Tatiana Diatchenko, saura se soustraire à l'emprise de ces derniers et engager la lutte annoncée contre la corruption qui gangrène l'économie et le pouvoir russes, et à celle des militaires, qui l'estiment redevable pour une victoire électorale tributaire de la guerre de Tchétchénie. Si son parcoure politique a montré qu'il ne manquait pas d'ambition, Vladimir Poutine doit encore prouver, au peuple russe comme aux Occidentaux qui en attendent en priorité le règlement pacifique du conflit tchétchène, qu'il est assez velléitaire pour ne pas se laisser manœuvrer par ceux qui ont pavé la route de son succès.

Gari Ulubeyan

Du KGB au Kremlin

Rien ne prédisposait Poutine, issu d'un milieu modeste, à présider à quarante-sept ans aux destinées de la Russie, sinon peut-être un grand-père, cuisinier de Lénine et de Staline, qui l'initia aux sombres cuisines du Kremlin, et une ambition dévorante, servie par une volonté de fer, qu'il met au service de sa patrie, alors soviétique. Adolescent, le jeune homme à la faible constitution compensée par la pratique des arts martiaux rêvait de rejoindre le KGB, qu'il intégrera après des études de droit. Abandonnant ses activités de conte-espionnage en Allemagne en 1991, il devient l'éminence grise de son ancien professeur, le maire réformateur de Saint-Pétersbourg Anatoly Sobtchak (décédé en janvier 2000), jusqu'à la disgrâce électorale de celui-ci, aggravée par des démêlés judiciaires. En 1996, Eltsine l'appelle à Moscou dans l'administration présidentielle, le sortant de l'anonymat en août 1999 pour le nommer Premier ministre, alors que le Daguestan est déstabilisé par une rébellion venue de Tchétchénie. Dès lors, Poutine se consacre à l'anéantissement des rebelles islamistes du Daguestan, puis des « bandits tchétchènes », après les attentats meurtriers de septembre à Moscou et ailleurs, hâtivement attribués aux Tchétchènes mais jetant la suspicion sur d'occultes commanditaires au Kremlin même. Le coup d'envoi est donné à une guerre de reconquête meurtrière de la Tchétchénie qui vaudra une popularité durable à Poutine malgré les milliers de morts de part et d'autre. Incarnant la force et l'ordre, issu de l'appareil soviétique sans en porter l'idéologie, contrairement à Eltsine, qui est un communiste repenti, Poutine, président atypique, ouvre bien un nouveau chapitre de l'histoire russe.