Moins dynamique qu'autrefois, l'Opéra de Lyon n'aura guère su créer l'actualité. Le deuxième théâtre lyrique de France n'aura en effet proposé qu'une seule nouvelle production attractive, Albert Herring de Benjamin Britten, écrit sur un livret d'Éric Crozier adapté de la nouvelle de Guy de Maupassant le Rosier de Mme Husson, qui conte les aventures d'un jeune puceau qu'une mère abusive et cupide contraint à ceindre la couronne de « rosier ». Britten accumule dans sa partition citations et « à la manière de » – clichés et poncifs devenant l'assise même de son langage dans cette œuvre –, pompe à la Purcell, bravoure à la Haendel, style italien, clins d'œil au music-hall et au cabaret, réminiscences wagnériennes, le tout mêlé de sucreries salonnardes et interprété par un petit orchestre. Alerte et vive, gorgée d'humour et de tendresse, la mise en scène de Michel Raskine souligne le charme de l'ouvrage.

Unique production nouvelle du Théâtre du Châtelet de l'année, abstraction faite de la création mondiale de l'opéra de John Adams, la Belle Hélène de Jacques Offenbach. Le « Mozart des Champs-Élysées » aurait assurément été enchanté d'assister enfin à une présentation de l'un de ses opéras bouffes digne des meilleurs spectacles du genre proposés en Allemagne : un orchestre fourni, une distribution de premier plan constituée de chanteurs d'opéra aguerris qui s'avèrent aussi excellents comédiens, une mise en scène évitant de se complaire dans la vulgarité... Tels sont les ingrédients que Jean-Pierre Brossmann a réunis sur le plateau du Châtelet, qui fut longtemps voué à l'opérette mais qui n'a pas assisté depuis des lustres à pareille fête. Cette Belle Hélène, conformément à la tradition, est farcie d'anachronismes et d'allusions au monde contemporain, mais Offenbach se prêtait lui-même volontiers à pareil jeu. Certes, la mise en scène de Laurent Pelly n'apparaît guère novatrice, mais elle a le mérite de la vie et de l'humour. À la tête d'un orchestre aux proportions quasi wagnériennes, suivant le vœu du compositeur, Minkowski mène la représentation à un rythme étourdissant et fait sonner avec opulence cette partition que trop de productions édulcorent ou réduisent en bouillie sonore. Quant à la distribution, elle est exceptionnelle, même si dame Felicity Lott domine incontestablement le tout.

Radio France aura consacré une large part de sa production musicale à Claude Debussy. Pelléas et Mélisande est depuis 1937 l'œuvre emblématique de l'Orchestre national de France, qui, deux ans après sa prestation dans la fosse de l'Opéra-Comique sous la baguette de Georges Prêtre, retrouvait l'ouvrage sur le plateau du Théâtre des Champs-Élysées, dirigé cette fois par Bernard Haitink. Les affinités du chef hollandais sont apparues à l'évidence dans cette exécution éblouissante, toute moirée d'ombre et de lumière, d'une liquidité marine à l'insaisissable sensualité, exaltant des timbres veloutés et des sonorités d'une onctuosité miraculeuse. Poète de l'indicible, précis et souple à l'envi, Haitink obtient des cordes du National des textures d'une inexprimable délicatesse et de l'orchestre entier un fondu confinant à la fusion totale de tous les pupitres. Pour servir sa vision aux nuances infinies, Haitink disposait d'admirables chanteurs. En tête de distribution, la sublime Anne Sofie von Otter, incarnation même de l'héroïne de Debussy, illogique, naïve et pure, avec sa voix venue d'un autre monde, un sens du texte ineffable, une articulation sans faille. Le même orchestre proposait en outre le Martyre de saint Sébastien, cette fois sous la direction de son nouveau directeur musical désigné, l'Allemand Kurt Masur. Cette musique de scène pour le mystère de Gabriele D'Annunzio n'a pu s'imposer au répertoire, principalement en raison d'un poème terriblement daté. Lambert Wilson l'a opportunément dit avec retenue, et les chanteurs n'ont heureusement pas trop soigné leur diction. Une semaine plus tard, l'ONF retrouvait Leonard Slatkin pour un programme centré sur la Damoiselle élue, œuvre de jeunesse écrite Villa Médicis à Rome, déjà porteuse des promesses de Pelléas. Susanne Mentzer et Hélène Perraguin n'ont malheureusement pas su se fondre dans la vision toute debussyste de Slatkin.

Festivals

Pour sa treizième édition, le Festival de Sarrebourg, traditionnellement organisé le week-end de Pentecôte, a choisi de célébrer le Brésil à l'occasion du cinq centième anniversaire de sa découverte. L'Amérique est en effet depuis huit ans le pivot de la programmation de la manifestation sarrebourgeoise, son directeur artistique, Alain Pacquier, entretenant des relations étroites avec le « Nouveau Monde ». C'est autour du centre pédagogique Les Chemins du baroque que ce festival s'est forgé en axant sa programmation sur la musique baroque américaine, musique des jésuites qui visait à l'origine à imposer aux Indiens une culture chrétienne. Au programme des enfants de Sarrebourg, des pages réunies sous le titre Dominica in Palmis, enchaînant office, messe et Passion, écrites en 1782 pour le dimanche des Rameaux par un contemporain brésilien de Joseph Haydn, José Emerico Lobo de Mesquita.