Une petite cité montagnarde en voie de désertification, une jeune fille sans nom en raconte l'histoire, son histoire, celle de ses concitoyens, histoire de leurs relations avec l'humanité, la nature, la mort. Telle est l'intrigue de Forever Valley de Gérard Pesson présenté en mai Théâtre des Amandiers, adaptation du roman de Marie Redonnet, opéra pointilliste dans la filiation des happenings années 1960. Le texte reste constamment compréhensible, ne serait-ce qu'en raison du traitement des voix, un chant proche de la déclamation, alors que l'héroïne est campée par une jeune comédienne, Judith Henry, remarquable et émouvante. L'équipe artistique est au diapason, particulièrement les sept musiciens de l'ensemble 2e 2m, le registre de leur prestation se réduisant à effleurer le son. La production elle-même, signée Frédéric Fisbach, est de qualité. Pourtant, le spectacle ne fonctionne pas, et l'on s'ennuie ferme, la partition plongeant dans l'ascétisme.

Commande de l'Opéra du Rhin, le cinquième opéra du compositeur marocain Ahmed Essyad, Héloïse et Abélard, représente pour son auteur une étape importante, nécessaire pour un autre ouvrage consacré à un grand mystique musulman, El Hallaj. Un superbe livret écrit par Bernard Noël, qui ne craint pas l'érotisme, donne la part belle au théologien, son élève n'apparaissant que dans la seconde partie de l'œuvre. C'est là que le drame prend consistance, le premier volet étant peu théâtral, à l'image des débats philosophiques animant Abélard, Garlande et Roscelin. Le deuxième acte est le sommet de la partition. La mise en scène de Stanislas Nordey ne convainc guère, ne parvenant pas à faire oublier l'esthétique souvent austère de la partition, heureusement servie par une distribution exemplaire, menée par la rayonnante soprano chinoise Jia Lin Zhang, à l'élocution claire, tout comme l'Abélard du Britannique Peter Savidge. Autre chanteur de premier plan au timbre de velours, le haute-contre Johnny Maldonado, dans le rôle de l'oncle castrateur Fulbert.

C'est sur une création mondiale fort attendue que s'est conclue l'année 2000. Proposée par le Théâtre du Châtelet, la Nativité – El niño, de John Adams, l'un des papes de la musique répétitive. Au seuil du xxie siècle, il donnait avec son inséparable comparse Peter Sellars une vision composite de la nativité du Christ, à la façon du Messie de Haendel, où personne n'interprète Jésus ni Marie mais où la parole est distribuée entre plusieurs voix. Les textes réunis par le compositeur puisent dans les Évangiles gnostiques, la Bible du roi Jean et des cantiques populaires, auxquels se superposent des vers de poétesses latino-américaines.

Don Quichotte

Composé en 1910 pour la basse russe Feodor Chaliapine, Don Quichotte est l'ultime opéra de Jules Massenet. La première de la nouvelle production proposée le 27 septembre par l'Opéra-Bastille n'était que la quinzième représentation de l'œuvre sur la scène nationale depuis sa création. L'on se demande pourquoi le metteur en scène Gilbert Deflo a placé l'action sous un chapiteau de cirque, dont il n'utilise pourtant qu'un petit nombre d'accessoires, alors que la direction d'acteurs s'avère plutôt fruste – Don Quichotte agit tel un automate perdu dans ses rêves – et encombrée de danseurs et de figurants espagnols pour le moins envahissants. Côté musique, la direction de James Conlon, d'abord froide et sans âme, se fait peu à peu plus subtile et poétique pour culminer dans le bref acte final, grâce à un orchestre concentré. La distribution est remarquable, avec d'excellents seconds rôles et une Dulcinée, Carmen Oprisanu, au timbre de braise et au chant épuré. Face à elle, le magnifique Sancho de Jean-Philippe Lafont, gouailleux et dynamique, et la superbe incarnation du chevalier à la Triste Figure de Samuel Ramey, qui possède la silhouette, la voix, le port, l'articulation.

À l'Opéra de Paris

Alors que la saison se terminait difficilement en raison des nombreux préavis dégrève – suscités par le passage à trente-cinq heures de travail – menaçant les deux spectacles populaires proposés pour les fêtes de fin d'année, une nouvelle production à Garnier de la Flûte enchantée aux images d'Épinal propres à embraser l'imaginaire de l'enfance, et d'une autre de la Chauve-Souris à Bastille, l'Opéra de Paris atteint son régime de croisière grâce à un répertoire patiemment établi par Hugues Gall au point que les nouveaux spectacles sont de plus en plus rares. Les premières minutes du prologue de la nouvelle production des Contes d'Hoffmann présentée à l'Opéra-Bastille le 20 mars permettent de retrouver le Robert Carsen que nous apprécions, avec ce plateau vide et ces lumières rasantes en noir et blanc. Hoffmann repose entre deux cadavres de bouteilles sur un sol jonché de fils. Soudain, la scène s'anime, et l'on pressent que le dramaturge canadien va démultiplier les strates de perception avec une élégante habileté, dès la première citation de Don Giovanni, alors que passe à l'arrière-plan un plateau de théâtre au complet : le théâtre dans le théâtre, tel est donc le propos de Carsen. Pour les trois actes en flash-back, Carsen se transporte d'abord sur la scène d'une salle d'opéra, puis dans la fosse d'orchestre de ce même théâtre où jouent les instruments abandonnés et d'où l'on voit le plateau, où se tisse le triste destin d'Antonia ; enfin arrive l'acte de Venise, planté sur l'avant-scène de la même salle, face aux fauteuils de velours rouge qui ondulent au rythme de la célèbre Barcarolle. Formidable plongée dans l'imaginaire théâtral que cette lecture virtuose des Contes d'Hoffmann qui passe en revue trois types d'opéras, le bouffe, le drame, le fantastique. En prime, la direction perspicace de James Conlon, qui atténue le caractère composite de la partition d'Offenbach et attise ses élans dramatiques, à la tête d'un orchestre et d'un chœur étincelants. Côté distribution, une captivante Angelika Kirschlager dans le double rôle Muse/Nicklausse, un Samuel Ramey vocalement impérial dans les quatre personnages maléfiques, une Natalie Dessay se jouant avec une sidérante agilité des périlleuses vocalises d'Olympia tout en confirmant son irrépressible aptitude au comique.

Le Vaisseau fantôme

Seconde production du Vaisseau fantôme présentée le 29 juin dans l'immense navire Opéra-Bastille, sept ans après celle de Werner Herzog et Myung-Whun Chung, celle que signent Willy Decker – qui a laissé le soin du réglage à Christoph Myer – et James Conlon n'a pas su convaincre davantage. La scénographie de Wolfgang Gussmann place l'action dans un vaste salon bourgeois des bords de la mer du Nord, aux murs blancs formant triangle avec deux immenses ouvertures, l'une donnant sur un grand dégagement orné d'une marine reproduisant le vaisseau légendaire, l'autre débouchant sur une mer agitée. Le pivot de l'opéra, la scène des fileuses et la ballade de Senta, est chanté non pas autour de rouets mais en cercle autour d'un grand drap blanc que de petites mains recousent. À la fin de l'ouvrage, l'héroïne se jette non plus dans la mer du haut d'une falaise mais sur un couteau dans son appartement... À la tête d'un orchestre moins sûr que de coutume, James Conlon n'a pu trouver le souffle épique de la légende du Hollandais volant, les embruns et le vent du large semblant loin de son imaginaire, mais la production a été portée en son entier par Falk Struckmann, Hollandais impressionnant de noblesse et d'aisance.

Répertoire

C'est sur une Carmen d'une étonnante sobriété que s'était ouverte à Nancy l'année lyrique 2000. Signée Alain Garichot, la mise en scène se polarisait sur la flamme intérieure qui consume l'héroïne. Le statisme de la mise en scène ne convenait guère à Carmen, être de chair et de sang comme il en est peu dans l'opéra. Les images, aussi belles soient-elles, ne suffisent pas à donner le change dans cette œuvre si éminemment théâtrale, d'autant que trop de chanteurs surmontent difficilement l'épreuve des dialogues. L'un et l'autre doués d'une diction impeccable, Michael Myers impose un solide Don José, et Nora Gubisch une irréprochable Carmen, rôle qu'elle campait pour la première fois.