L'année de la musique

L'année 2000, chiffre symbolique depuis mille ans, a été placée sous le signe de Jean-Sébastien Bach, nom emblématique de la musique s'il en est. Le monde de la musique en son entier aura en effet célébré le deux cent cinquantième anniversaire de la mort du cantor de Leipzig, que l'on considère généralement comme le « père de la musique ». 2000, comme le précédent millésime, a été une année de transition, à l'image de cette fin de siècle où tout se cherche, les institutions musicales ouvrant leurs répertoires à toutes les époques, à tous les styles, à tous les genres, tout désormais ayant la même valeur et la même portée. Plus d'appréhension visionnaire donc chez les musiciens, ou si peu, puisque spéculation et novation sont récusées, voire jugées comme des valeurs dépassées.

Sans doute jamais pourtant la création musicale n'a été aussi dynamique. Concerts, festivals, spectacles en tout genre ont été très nombreux et très courus par le public. L'année, cependant, commençait bizarrement sur un acte manqué, puisque c'est dans le bâtiment symbole de la création contemporaine, le Centre Pompidou rénové, que le premier rendez-vous de la création musicale était fixé, avant d'être reporté de huit semaines pour cause de grèves. C'est sur une série de quatre concerts placés sous l'égide de l'IRCAM (Institut de recherche et de coordination acoustique-musique) et de Gérard Grisey, mort en 1998, qu'a débuté ce premier week-end qui accueillait notamment l'Ensemble intercontemporain pour la création de deux œuvres, l'une bavarde et redondante de Joël-François Durand, Terre de feu, pour hautbois et ensemble, l'autre de Jean-Luc Hervé, Encore, colorée et expressive. Elles étaient mises en regard du Temps de l'écume de Grisey, qui a montré ce en quoi un compositeur peut être grand et original, avec une inventivité sonore prodigieuse, creusant le son jusqu'au plus profond de l'âme.

Création, que me veux-tu ?

Attirant un public toujours plus nombreux, le Festival Présences 2000 proposait en février un voyage en forme de prospection au cœur de la création au terme d'un siècle musical d'une richesse inouïe. Le festival lancé en 1991 par Radio France permettait de s'arrêter sur la situation de la musique aujourd'hui. Celle-ci tire non seulement profit de quinze siècles d'histoire des musiques savante et populaire occidentales, mais aussi des musiques extra-européennes, ainsi que des nombreux courants esthétiques qui ont gouverné le xxe siècle, suscitant débats intellectuels et conflits idéologiques, et qui, désormais, fusionnent naturellement. Mais ce métissage s'avérera-t-il bénéfique, la musique devenant l'unique préoccupation des compositeurs, ou sera-t-il préjudiciable, le consensus engendrant l'ennui de la normalité ? Seul l'avenir le dira. Pour étayer ces interrogations, Présences réunissait trois générations de compositeurs, le trentenaire français Yan Maresz, le quadragénaire italien Marco Stroppa et le quinquagénaire japonais Yoshihisa Taïra, autant d'attitudes face à l'avenir que d'origines et d'influences. Élève du guitariste John McLaughlin, ancien collaborateur de Jacques Higelin, formé à la Juilliard School of Music de New York, Maresz est passé par le rock et le jazz avant d'arriver à l'IRCAM. Scientifique et informaticien éminent, diplômé du Massachusetts Institute of Technology de Boston, ancien directeur du département recherche de l'IRCAM aujourd'hui professeur de composition au Conservatoire de Paris, Stroppa écrit indifféremment pour les instruments acoustiques et l'électronique. Quant à Taïra, venu du Japon, disciple de Dutilleux, Messiaen et Jolivet, il a accepté son ambivalence orientalo-occidentale longtemps enfouie dans son inconscient. Parmi les confirmations, la compositrice Suzanne Giraud, dont le quatuor à cordes Envoûtements IV, interprété par son dédicataire, le Quatuor Arditti, se place dans la lignée des grandes pages d'un genre pourtant réputé difficile. Autres figures marquantes de l'édition 2000, qui s'est achevée sur un week-end de folie enchaînant treize concerts pour quarante-quatre œuvres de quarante-trois compositeurs, le Roumain Aurèle Stroë, l'Espagnol José Manuel López López, le Belge Benoît Mernier, le Brésilien Emilio Pomárico, l'Allemand Hanspeter Kyburz, les Français Hugues Dufourt et Christian Lauba, l'Italien Fausto Romitelli et le Britannique Simon Bainbridge.