Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

La victoire annoncée de Vladimir Poutine

Appelés aux urnes le 26 mars avec trois mois d'avance sur le calendrier électoral, les Russes élisent sans enthousiasme Vladimir Poutine, président par intérim et dauphin désigné de Boris Eltsine depuis la démission surprise de celui-ci, le 31 décembre 1999. Cette victoire attendue, dès le premier tour, doit beaucoup à la guerre de Tchétchénie, qui a forgé la popularité du nouveau président, incarnant dans l'opinion l'image de l'intégrité et de la force. Reste à savoir si cette image résistera à l'exercice d'un pouvoir que M. Poutine pourrait être contraint de partager avec ceux qui l'y ont porté.

Les marchands du temple politique russe n'ont pas attendu le résultat de l'élection présidentielle pour mettre à jour la série de « matriochka » à l'effigie des différents locataires du Kremlin depuis Lénine, proposées aux passants dans les multiples kiosques installés sur les trottoirs moscovites : contrastant avec le visage rubicond de Boris Eltsine, dernier ou plutôt « premier président » de la Fédération russe, la traditionnelle « poupée russe » qui complétait cette galerie de portraits artisanale des « tsars » de la Russie moderne avait revêtu bien avant le scrutin du 26 mars les traits impavides de son dauphin et successeur désigné, Vladimir Poutine. L'industrie russe du gadget politique n'a certes pas grand mérite à avoir figé dans le bois le sourire glacé de cette figure politique neuve, presque inconnue du public dix mois avant mais donnée gagnante par tous les sondages et pronostics. Créé de toutes pièces par la « famille » qui règne sur le Kremlin, l'obscur colonel du KGB, devenu Premier ministre en août 1999, était en effet assuré de sa victoire depuis la démission surprise le 31 décembre 1999 de Boris Eltsine, qui lui accordait la présidence par intérim. Après avoir fait valser les premiers ministres soupçonnés de lui faire de l'ombre, le tsar Boris, à la popularité aussi déclinante que la santé, avait finalement arrêté son choix sur le successeur le mieux à même de préserver ses intérêts et ceux de son « clan » et avait accepté de lui céder son fauteuil du Kremlin auquel il s'était accroché contre vents et marées. Dans la foulée des législatives du 19 décembre, remportées par l'alliance Unité, qui lui donnaient une large assise dans une Douma désormais en phase avec le Kremlin après huit années de fronde organisée par l'ancienne majorité communiste, la présidentielle, avancée de 3 mois en raison du départ anticipé d'Eltsine, se présentait comme une promenade de santé pour Poutine. Servi par la machine de propagande du Kremlin, le tsar programmé, bon prince, cédera même ses temps d'antenne à ses rivaux sans illusion et pris de court par la proximité des échéances électorales. Il dédaigne cette campagne électorale au profit de la campagne militaire en Tchétchénie, champ de bataille où il se sent d'autant mieux à l'aise qu'il y a gagné sa popularité soudaine et ses galons de présidentiable. Bénéficiant du soutien massif de l'opinion, la guerre pour la reconquête de la république caucasienne rebelle, qui a dominé toute son action depuis qu'il est aux affaires, jusqu'à en éclipser les volets politiques et économiques, a forgé sa réputation de force et sa personnalité de patriote, qui a su séduire une population russe en quête de héros et sourde aux horreurs de la guerre.

Le « deuxième président »

Dans cette course contre la montre imposée par le calendrier électoral, la chute de la capitale tchétchène, Grozny, le 6 février, constituera sans aucun doute pour Poutine une étape décisive de sa stratégie de conquête du pouvoir. Menée tambour battant et à coups de canon, cette stratégie s'avérera payante dans les urnes, le scénario électoral bien rodé n'autorisant le doute que pour une victoire dès le premier tour de scrutin. Celle-ci est acquise par 53 % des suffrages, le candidat communiste Guennadi Ziouganov recueillant le score honorable mais stationnaire de 29 % des voix dans un scrutin marqué par une participation de 67,7 %.