Le journal du cinéma

La fréquentation en salles devrait atteindre les 170 millions d'entrées soit, en gros, une progression de 10 millions de spectateurs par rapport à l'année passée. Cela s'explique par le retour vers le grand écran de nombreux spectateurs, mouvement amorcé avec des hauts et des bas depuis 1993, et le bon score de quelques sorties estivales : les superproductions Gladiator de Ridley Scott, Mission impossible 2 de Brian DePalma, mais également l'outsider français Harry, un ami qui vous veut du bien (qui frise les 2 millions de spectateurs en France) de Dominik Moll.

L'apparition, contestée, de la carte d'abonnement illimité – on peut, contre une somme forfaitaire, voir autant de films qu'on le veut – portée sur les fonts baptismaux par UGC et suivie, après une tentative d'interdiction par les autorités de tutelle, par son équivalent lancé d'abord par Pathé puis par Gaumont et MK2 explique également la fréquentation accrue des salles obscures. Il est encore tôt pour dire dans quel sens évoluera cette modification d'infrastructure, mais elle n'est pas étrangère à la montée du nombre de spectateurs. Par ailleurs, l'année 2000 a été, au niveau purement artistique, une saison de confirmations : peu d'auteurs nouveaux et marquants y ont vu le jour.

La Carte orange du cinéma ?

« Ce principe d'une Fête du cinéma permanente, en quelque sorte, d'un abonnement généralisé illimité pour une somme forfaitaire, identique à ce que les grandes villes pratiquent systématiquement de longue date pour les transports en commun, est récemment revenu à la surface, on le sait, mais en tant que fer de lance du marketing UGC, avec sa carte UGC Illimité, instrument de marketing très élaboré permettant de faire croître la seule part du circuit qui la commercialise.

Cette carte a rencontré, il faut bien le dire, un grand succès et l'augmentation de la fréquentation des salles UGC durant l'été a incité les autres circuits à commercialiser... leurs propres cartes : d'abord Pathé, puis Gaumont associé avec MK2, le circuit de Marin Karmitz.

Ceux qui, du haut de leur Olympe, parlaient contre le projet de « Carte orange du cinéma », sous prétexte que l'on risquait d'oublier le choix individuel des films pour ne choisir que le cinéma, n'ont quasiment plus voix au chapitre : la concurrence entre les cartes s'apparente aux opérations de marketing des grandes surfaces auxquelles le cinéma avait pu jusque-là échapper.

Devant cette division de la profession, les règles omniprésentes du libéralisme à tout crin semblent maintenant devoir pérenniser la situation, puisque la division est assimilée à une saine concurrence économique d'un point de vue juridique (en attendant la mort des plus faibles ?). Afin de respecter un minimum de garde fous concernant la rémunération des auteurs et producteurs, on paraît simplement se diriger vers un système d'agrément des différentes cartes afin de limiter la casse. Voilà une belle occasion qui est en train de disparaître. »

Philippe J. Maarek

La Lettre du Syndicat français de la critique de cinéma, no 15 (octobre 2000)

Le cinéma français tricéphale

La production française cette année s'est clivée en trois tendances générales. Il y a le lot habituel des jeunes cinéastes qui débutent, moins nombreux en matière de talent que ceux de l'année précédente ; un retour vers un certain cinéma social et un regain d'intérêt pour le film historique. On note, d'abord, la cruelle première œuvre d'Anne-Sophie Birot, Les filles ne savent pas nager, qui, partant sur un canevas rohmérien (deux adolescentes en été à la plage), finit d'une manière assez dure. Le film repose sur les épaules de Isild Le Besco, jeune actrice de dix-huit ans, révélée l'année passée par le moyen-métrage d'Emmanuelle Bercot, la Puce, qui s'est affirmée dans Sade de Benoît Jacquot et réussit ici à faire passer un ton d'authenticité rarement vu sur les écrans français. Le film se termine en véritable tragédie.

Deux autres films, réalisés par des jeunes cinéastes hexagonaux, n'ont pas eu l'écho qu'ils méritaient à cause de leur sortie estivale : Confort moderne de Dominique Choisy et Banqueroute d'Antoine Desrosières. La première chose qu'on peut dire, c'est que ces longs-métrages sont assez atypiques au cœur de la production nationale. Ils vont chercher quelque chose d'autre que la simple aventure sentimentale intimiste, grand cheval de bataille du cinéma français depuis les années 1930. Ces deux œuvres piochent dans l'inconscient mental ou social de leurs protagonistes, et se rattachent à d'autres films qui, eux, sont de véritables thrillers : Harry, un ami qui vous veut du bien ou, encore, American Psycho de la réalisatrice américaine Mary Harron. Confort moderne joue sur le décadrement. Une employée de banque se fait agresser par une SDF. À partir de là, tout son univers bascule, ses rapports avec ses proches sont bouleversés : elle ne se souvient pas si elle a tué la femme. On ne le saura pas. Le plus important est la mise en place d'un « moteur déréglant » qui permet à l'héroïne, la très discrète Nathalie Richard, de faire une composition nuancée et troublante. Banqueroute dépeint quelques jours de la vie d'un golden boy d'aujourd'hui, devenu un marginal obligé de fuir après avoir causé la faillite de sa banque. Cette étude du revers de la médaille qui frappe les jeunes gens qui ne vivent que pour la réussite sociale a été initiée par le roman de Bret Easton Ellis, American Psycho, publié il y a dix ans (maladroitement adapté par Mary Harron), et prolongé par une excellente série télévisée américaine, Profit, brusquement arrêtée par ses promoteurs, mais qui passe assez souvent sur les chaînes câblées françaises. Mathieu Demy est extraordinaire dans le rôle de l'antihéros fragile et désaxé.