Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

L'arrivée au pouvoir des indépendantistes était ce que redoutait Pékin et constitue sans doute un tremblement de terre d'une plus grande ampleur. En février, le Livre blanc publié par les autorités de la République populaire de Chine ne se contentait plus de tenir pour « casus belli » une proclamation de l'indépendance de Taïwan, mais ajoutait une clause au diktat initial : la Chine pourrait avoir recours à la force des armes pur le cas « où les autorités de l'île refuseraient indéfiniment de résoudre par voie de négociation le problème de la réunification des deux rives du détroit ». Taïwan devait donc négocier sur les bases imposées par Pékin une réunification sur le modèle du rattachement de Hongkong en 1997 : un État, deux systèmes. La république de Chine disparaîtrait et Taïwan ne serait plus qu'une région d'administration spéciale de la République populaire de Chine (RPC).

Toutefois, contrairement à ce qui s'était passé en 1996 lors de l'élection de Li Teng-hui à la présidence de la ROC, Pékin n'a pas accompagné cette fois-ci ses invectives contre les candidats indépendantistes par des manœuvres militaires provocatrices dans le détroit. Nul missile pouvant porter éventuellement des têtes nucléaires n'a cette fois-ci survolé Taipei. La déclaration d'investiture de Chen Shui-bian, le 20 mai, a évité toute référence à une éventuelle indépendance de Taïwan et le nouveau président a promis qu'il allait « s'atteler au problème d'une future Chine unique ». Ce « futur » a attiré aussitôt les foudres de Pékin, mais le président chinois Jiang Zemin, dès le 21 mai, comme en écho, a rappelé le compromis élaboré en 1992 à Singapour par des négociateurs de Chine populaire et de Taïwan, qui avaient conclu à l'existence « d'une seule Chine », tout en prenant acte de l'existence de « plusieurs interprétations » de ce concept. Simple habileté tactique de Pékin pour écarter tout obstacle à l'entrée imminente de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce ? Conscience de l'inanité de menaces tant que la Chine ne se sera pas dotée d'une force militaire de projection crédible, alors que l'Armée populaire de libération se donne cinq ou dix ans pour y parvenir ? Lente prise de conscience d'une Chine remodelée en profondeur depuis 1978 par la « réforme » et qui commence à renoncer à ses fantasmes maoïstes en matière aussi de politique extérieure ?

Alain Roux

Le portrait du vainqueur

Chen Shui-bian a quarante-neuf ans. Comme son prédécesseur dans le poste, Lee Teng-hui, il est taïwanais, originaire de Gaoxiong. Fils de paysans pauvres (sa mère était illettrée), il bénéficie de bourses et devient un brillant avocat d'affaires. À partir de 1979, il entre en politique et milite contre le régime autoritaire et policier du KMT. Converti aux thèses indépendantistes, il devient un des principaux responsables du DPP et est élu à ce titre maire de Taipei de 1994 à 1998. Plus libéral qu'indépendantiste, peu doctrinaire, maniant avec talent l'ambiguïté et le symbole, il sait louvoyer entre les écueils, même s'il encourt la colère de Pékin. Il prend comme vice-présidente Annette Lü, qui invente la formule de « parents distants et proches voisins » pour définir les relations entre les populations des deux États chinois, ce qui lui vaut d'être traitée par Pékin de « rebut de la nation chinoise ». Mieux, il est soutenu durant sa campagne par le prestigieux prix Nobel chinois de chimie Li Yuan-tseh, membre du KMT, et qui a ses entrées à Pékin. Le double tremblement de terre suscité par son élection rend plus que jamais nécessaire son art du compromis, pour éviter que les dangereuses failles apparues alors ne finissent par donner lieu à des catastrophes.