Et pour rester dans ce domaine de la crise d'une société, Jacques Derrida, dans son livre États d'âme de la psychanalyse, l'impossible au-delà d'une souveraine cruauté, met en lumière celle de la psychanalyse qui serait en résonance avec la précédente.

Ce bref tableau de l'année littéraire révèle à l'évidence que la parole littéraire demeure une résistance nécessaire à l'érosion des sentiments. Assurément, elle témoigne à la fois des désarrois du siècle et de la présence en chacun de nous des fantômes sanglants du passé, mais, même dans ses cris de désespoir, c'est encore la vie qu'elle célèbre. En ce sens elle demeure vigoureuse au seuil du xxie siècle.

Gao Xingjian, prix Nobel de littérature

Le prix Nobel de littérature a été attribué cette année à un écrivain d'origine chinoise qui a choisi la langue française pour s'exprimer et qui vit en France, Gao Xingjian.

Né le 4 janvier 1940 à Ganzhou, en Chine orientale, ce diplômé de français de l'Institut des langues étrangères de Pékin accomplit, sous la Révolution culturelle, six ans de travaux forcés à la campagne. Réfugié en France depuis 1988, Gao Xingjian fut naturalisé français dix ans plus tard. Entre-temps, il avait écrit de nombreuses pièces de théâtre et plusieurs ouvrages, essais ou romans.

L'Autre Rive (1992) est un essai critique sur la persécution de l'individu au nom des impératifs collectivistes. Dans la Montagne de l'âme (1995) se mêlent l'essai et la fiction. On y voit un homme entamer un pèlerinage à la recherche de la montagne mystérieuse, symbole du lieu idéal, où se retirer « du monde de la poussière ». C'est, en même temps, un prétexte à une évocation de la Chine profonde, où subsistent encore les traditions et les superstitions du passé. Dans le Livre d'un homme seul (1996), il confronte les barbaries : le massacre de sa propre famille et les malheurs de sa compagne juive à l'époque de l'Allemagne nazie.

L'œuvre de Gao Xingjian est centrée sur l'être humain et sur la vérité intérieure. Cet écrivain est également peintre, dans la tradition des lettrés chinois.

Gérard-Henri Durand,
critique littéraire