Les données interceptées sur les systèmes satellitaires sont de deux ordres : celles obtenues par branchement direct sur le réseau Intelsat ; certaines stations se consacrent aussi au recueil des données interceptées sur les satellites de communication du reste du monde (Russie, Inde, Chine, Indonésie, pays d'Amérique latine...). Tout lancement de satellite de communication fait donc l'objet d'un suivi attentif d'Echelon. Pour intercepter les communications ordinaires dans un pays, les ambassades de chacun des États membres d'Echelon installent librement sur cette enclave protégée par l'immunité diplomatique les antennes qui leur permettent de capter les flux de communications convergeant sur les capitales.

Le volume des données étant énorme, le problème est de parvenir à effectuer un triage très en amont. Pour cela, Echelon utilise un système d'intelligence artificielle, nommé Dictionary, dont le principe s'apparente aux moteurs de recherche bien qu'à un niveau plus puissant et plus perfectionné. Il s'agit, à travers des grilles de mots-clés, de reconnaître et repérer certains éléments caractéristiques d'une communication ayant trait à des dossiers spécifiques : drogue, terrorisme, coup d'État... et autres.

L'existence de ces capacités auxquelles sont consacrées des sommes considérables (le budget de la NSA – qui évidemment est secret mais estimé à 3 milliards de dollars – est de très loin supérieur à celui de la CIA) pose clairement la délicate question des cibles et, par conséquent, de la définition des objectifs et des missions.

La lutte contre le communisme et, plus particulièrement, l'Union soviétique avait fourni une justification au développement considérable des services de renseignement. Chaque lancement de satellite et chaque tir de missile soviétique étaient devenus un élément de mission, justifiant des dépenses toujours plus considérables. À la fin des années 1970, lorsque la marine soviétique s'essaiera à prendre le grand large, ses communications seront constamment suivies. Tout alors devient affaire de cryptage.

Si l'adversaire constituait bien la cible principale, nul n'ignorait qu'Echelon servait aussi à connaître les intentions des Alliés. En 1983, lors de la crise des Euromissiles, la presse américaine rapporta à plusieurs reprises que les ambassades de France, d'Allemagne, d'Italie étaient systématiquement écoutées par la NSA.

Un autre élément du dossier, fort peu évoqué et encore loin d'être éclairci, est la manière dont les informations ainsi acquises bénéficient à l'Alliance atlantique, dont font partie trois des cinq États membres d'Echelon. Or il existe des connexions avérées entre les satellites militaires britanniques et américains (Milstar et Skynet) d'une part, et le système de communication satellitaire de l'OTAN, d'autre part.

Reconversion ou perversion ?

Par delà ces nombreuses interrogations d'une incidence stratégique de première importance, la fin de la guerre froide pose la question de la reconversion de services hypertrophiés par rapport aux besoins du temps de paix.

L'entrée des personnels dans les entreprises privées ne pose pas en soi de problème particulier. La compétition économique utilise qui elle veut, comme elle veut, sous réserve du respect de la légalité. Cette compétition peut être aussi bien internationale que nationale ou bien encore transnationale, de groupes à groupes, parfois même de branches à branches. Dans le secteur des entreprises, la lutte fait rage depuis les débuts de la révolution industrielle. Le problème devient très différent dès lors que les intérêts nationaux s'affrontent à travers l'action des instruments relevant directement de l'autorité souveraine de l'État, dite parfois « puissance publique ».

La transformation des missions d'organes d'État pose des problèmes d'une tout autre nature. Officiellement – expression impropre puisque tout est secret –, les missions sont toujours orientées principalement vers la composante militaire de la sécurité nationale. Ainsi FS 83, autrement dit Menwith Hill, a joué un rôle considérable durant la guerre du Golfe. Tout en continuant à écouter la Russie et la Chine, l'activité s'est accrue au Moyen-Orient et dans le Golfe.