La repentance de l'Église catholique

12 mars 2000. Ce jour-là, premier dimanche de Carême, dans la basilique Saint-Pierre, à Rome, se passe un événement pour lequel le mot « historique » n'est pas usurpé. « Un événement incompréhensible pour qui n'a pas la foi », devait reconnaître le cardinal Etchegaray ; « sans précédent », « grandiose », « extraordinaire », proclamera, en mal d'adjectifs, la presse française. Revêtu de la chasuble violette, couleur liturgique du temps qui précède Pâques, Jean-Paul II, entouré d'une trentaine de cardinaux, accomplit un geste qu'aucun pape n'a jamais réalisé. Dans les annales de son pontificat, ce geste comptera désormais comme l'un des plus solennels et des plus émouvants. Le chef de l'Église catholique romaine demande, ès-qualité, pardon pour les fautes commises par son Église au cours des deux millénaires de son existence.

Près de l'autel papal, situé sous le baldaquin du Bernin, d'où le successeur de Pierre préside la cérémonie, a été déposé un crucifix en bois polychrome du xive siècle et un chandelier à sept branches, tout un symbole, sur lequel sept hauts prélats, représentant les cinq continents, vont tour à tour placer une petite lampe à huile, après que chacun aura fait acte de repentance, au nom de ce que le pape a appelé la « purification de la mémoire ». Cinq membres du Sacré Collège, les cardinaux Gantin, soixante-dix-huit ans, originaire du Bénin, l'Allemand Ratzinger, soixante-treize ans, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, ex-Saint-Office, ex-Inquisition, le Français Etchegaray, soixante-dix-huit ans, président du comité du Grand Jubilé, l'Australien Cassidy, soixante-seize ans, le Nigérian Francis Arinze, soixante-huit ans, et deux archevêques, le Japonais Hamao, soixante-dix ans, et le Vietnamien Van Thuan, soixante-douze ans, qui a passé de nombreuses années dans les geôles de son pays. Successivement, ils demandent pardon pour les martyrs de tous les temps, pour tous ceux que l'Église a condamnés pour avoir proféré des idées à ses yeux contraires à la vérité établie, pour tous les clercs qui ont eu recours à des méthodes non conformes à l'Évangile, pour les souffrances endurées au cours de l'Histoire par le peuple d'Israël, pour les comportements contraires aux droits des peuples et au respect des cultures, des religions et aussi de la femme.

« Nous demandons pardon »

C'est maintenant la voix de Jean-Paul II qui s'élève dans la basilique sur laquelle plane un lourd silence. « Nous demandons pardon, déclare-t-il, et nous pardonnons pour les fautes commises par les autres à notre égard. Au cours de l'Histoire, les chrétiens ont subi d'innombrables brimades injustes et persécutions à cause de la foi [...] Face à l'athéisme, à l'indifférence religieuse, au sécularisme, au relativisme éthique, aux violations des droits à la vie, au désintérêt envers la pauvreté de nombreux pays, nous ne pouvons pas ne pas nous demander quelles sont nos responsabilités ? » Et de lancer cet appel pathétique : « Jamais plus, jamais plus d'offenses contre quelque peuple que ce soit ; jamais plus de discrimination, d'exclusion, d'oppression, de mépris des pauvres et des petits. »

Dans sa lettre apostolique Tertio Millennio Adveniente – « À l'aube du IIIe millénaire » –, publiée en 1994, le pape avait levé un coin du voile en annonçant, à la surprise de tous, que le millénaire arrivant à son terme, il était juste que l'Église « prenne en charge avec une conscience plus vive le péché de ses enfants dans le souvenir de toutes les circonstances dans lesquelles, au cours de l'Histoire, ils se sont éloignés de l'Esprit du Christ et de son Évangile, présentant au monde non point le témoignage d'une vie inspirée par les valeurs de la foi, mais le spectacle de façons de penser et d'agir qui étaient de véritables contre-témoignages et de scandale ». Il en profitait pour inviter les nations européennes à suivre son exemple en faisant, elles aussi, un sérieux examen de conscience, et donc à reconnaître « qu'il y a eu fautes et erreurs historiques dans les domaines économique et politique à l'égard de nations dont les droits ont été systématiquement violés, aussi bien par les impérialismes des siècles passés que par ceux de notre siècle ». Redisons-le : jamais pape n'avait publiquement fait un tel mea culpa. Certes, des conciles et des décrétales pontificales avaient déjà sanctionné les abus dont s'étaient rendus coupables hommes d'Église et laïques. Mais rarissimes ont été les occasions où le magistère a fait, dans ce domaine, acte d'un pareil courage, d'une si authentique loyauté. Le seul précédent est celui d'Adrien VI qui, le 25 novembre 1522, dans un message à la diète de Nuremberg, dénonçait « les abominations, abus [...] et prévarications accomplis par la cour romaine de son temps [...]. Maladie [...] profondément enracinée et développée, propagée de la tête aux membres », sans toutefois y associer la moindre demande de pardon. En revanche, ce souverain pontife n'avait pas craint d'affronter sa propre curie en des termes virulents. « Nous tous, prélats et prêtres, nous avons quitté le “bon chemin”. Je n'en vois pas un qui n'ait point fait de mal. » Il faut ensuite attendre Paul VI qui, dans son discours d'ouverture de la deuxième session du concile Vatican II, demanda pardon « aux frères séparés d'Orient qui se sentiraient offensés par nous » et se déclara prêt, pour sa part, à absoudre toutes les offenses reçues.

Le Grand Jubilé

Il y a longtemps que Jean-Paul II songeait à cette confession publique. En fait depuis son accession au pontificat suprême, en 1978. Dès sa première encyclique, Redemptor Hominis, puis dans une autre, Ut Unum Sint, publiée en 1995, il implorait déjà le pardon « pour ce dont nous sommes responsables ». Cette fois, le passage d'un siècle à l'autre et le Grand Jubilé commémorant l'anniversaire présumé de la naissance du Christ, ouvert la veille de Noël 2000 et qui s'achève le 6 janvier 2001, jour de l'Épiphanie, fournissaient une occasion unique de rassembler toute l'Église, et au-delà, dans un acte solennel de repentance. Sans doute le pape n'oubliait-il pas ce que lui avait murmuré à l'oreille, lors de son élection, le cardinal Wyszinski, primat de Pologne : « Tu seras le pape qui fera entrer l'Église dans le IIIe millénaire. » Quelle plus favorable opportunité pour tous les chrétiens de purifier la mémoire qu'un jubilé ?