L'horloger trahi par son humérus, restait donc à chercher le « vrai » Louis XVII... « Poursuivre l'enquête était d'autant plus tentant que nous disposions déjà des données génétiques identifiant Marie-Antoinette », précise le professeur Jean-Jacques Cassiman, responsable de ces travaux au centre de Louvain. Tentant, et peut-être réalisable. À condition de jouer la carte du cœur, seul vestige de l'enfant du Temple à être parvenu jusqu'à nous après avoir été dérobé par un des médecins légistes qui attestèrent de son décès.

Passée de main en main pendant deux siècles, roulée à deux reprises dans la poussière, la précieuse relique pouvait-elle encore contenir de l'ADN mitochondrial ? En quantité suffisante, et dans un assez bon état pour pouvoir être comparé à d'autres ? Le 15 décembre 1999, les médecins biologistes conviés dans la crypte royale pour y prélever des échantillons identifient en tout cas « un cœur humain de petite taille, pouvant correspondre au cœur d'un enfant de cinq à douze ans », dont les tissus sont « desséchés, contractés et de consistance pétrifiée ». Il faut l'attaquer à la scie. Quatre fragments sont prélevés, deux appartenant à la pointe du muscle cardiaque et deux à l'aorte. Stockés dans des réceptacles en plastique stérilisés, ils sont confiés aux professeurs Jean-Jacques Cassiman et Bernd Brinkmann (université de Munster, Allemagne), afin que ces derniers procèdent à l'extraction de l'ADN dans leurs laboratoires respectifs.

En avril 2000, leur verdict tombe. Sans appel. Comparé aux empreintes déjà établies de Marie-Antoinette d'Autriche, de deux de ses sœurs et de deux descendants actuels des Habsbourg, Anne de Roumanie et son frère André de Bourbon-Parme, l'ADN extrait du cœur de l'enfant permet d'établir, sans aucun doute possible, sa parenté avec la famille royale. Le matériel génétique, finalement, aura survécu, et prouvé que Louis XVII et le prisonnier du Temple ne faisaient qu'un. La succession est close.

Le risque de contamination

La hantise des chasseurs d'ADN humain tient en un mot : contamination. Pour établir des empreintes génétiques à partir d'un tissu biologique, il faut en effet en extraire l'ADN, le purifier, puis l'amplifier par « PCR » (polymerase chain reaction). Une technique enzymatique désormais courante, qui permet de reproduire à plusieurs millions d'exemplaires n'importe quel fragment de gène. Y compris ceux provenant de l'ADN du biologiste (cheveux, cellules mortes) ou d'une bactérie malencontreusement échouée dans son éprouvette. La PCR étant, par sa puissance même, hautement sensible à toute « pollution » génétique, la plus grande précaution s'impose lors des manipulations. C'est pourquoi toute analyse génétique effectuée sur de l'ADN humain (et plus encore lorsqu'il s'agit d'ADN fossile, dont les gènes risquent d'être dégradés) doit être reproduite plusieurs fois avant d'être considérée comme valable. Et, si possible, par au moins deux laboratoires indépendants l'un de l'autre.

Les tribulations d'un cœur

L'odyssée du cœur de l'enfant du Temple commence le jour même de son autopsie. Profitant d'un moment d'inattention de ses confrères, l'un des quatre médecins qui y procèdent, le docteur Philippe-Jean Pelletan, prélève le précieux organe. Il le roule dans du son, l'enveloppe dans un mouchoir et le cache dans sa poche. Une fois chez lui, il le place dans un vase de cristal rempli d'alcool éthylique. En 1828 – après que Pelletan eut plusieurs fois tenté, en vain, de remettre le cœur aux Bourbons –, la relique est déposée à l'archevêché de Paris, où Mgr de Quelen se dit prêt à la remettre au roi Charles X.

Le 29 juillet 1830, les révolutionnaires des « Trois Glorieuses » saccagent le palais de l'archevêché. Au cours du pillage, un ouvrier imprimeur s'empare du cœur pour le restituer au fils du docteur Pelletan (mort un an plus tôt). Un émeutier s'interpose, l'urne de cristal tombe et se brise. Le 5 août, le calme revenu, Philippe-Gabriel Pelletan et son complice reviennent à tout hasard sur les lieux du saccage. Coup de chance : ils retrouvent les débris du vase et le précieux organe... dans un tas de sable.