L'ADN au secours de l'histoire

Quinze ans après ses premiers galops d'essai, la méthode d'identification des personnes par leurs « empreintes génétiques » – ou test ADN – n'a plus à faire ses preuves. Utilisée tant en justice civile, pour préciser des filiations, qu'en matière pénale, pour élucider des crimes, la technique est en train de révolutionner les enquêtes judiciaires. Mais la piste de l'ADN (acide désoxyribonucléique, le support de l'hérédité) mène plus loin encore, et ouvre désormais des perspectives inédites à la recherche historique. Au printemps 2000, elle a ainsi permis de résoudre l'une des énigmes les plus troublantes de la royauté de France, en apportant la preuve, plus de deux cents ans après les faits, que Louis XVII et l'enfant mort au Temple en 1795 ne faisaient qu'un.

Une personne, une cellule, une empreinte... Si cette technique d'identification est si fiable, et son pouvoir de résolution si puissant, c'est que ces tests génétiques, exception faite des vrais jumeaux, présentent une probabilité quasiment nulle de donner des résultats semblables d'un individu à un autre. Ils se fondent en effet sur l'analyse de « minisatellites », petits fragments d'ADN si polymorphes qu'ils forment une véritable carte d'identité biologique. Il faut préciser qu'il existe dans la cellule deux types d'ADN. Le premier – de loin le plus important –, dit « nucléaire » parce qu'il est localisé dans le noyau, est porté par les chromosomes. Le second, « mitochondrial », est contenu dans les mitochondries, petits organites répartis autour du noyau, dans le cytoplasme, et indispensables à la respiration cellulaire. Chacun de nous ayant reçu la moitié de ses chromosomes de son père et l'autre de sa mère, nos empreintes nucléaires seront pour moitié identiques à celles de chacun de nos parents. Les empreintes issues des mitochondries, en revanche, seront très proches de celles de notre mère, car elles se transmettent essentiellement par les femmes. L'ADN mitochondrial étant par ailleurs mieux préservé par le temps que l'ADN nucléaire, c'est donc lui qui, dans la majorité des cas, sera choisi pour les recherches généalogiques.

L'affaire Romanov

Sur la base de ce principe, ce sont des pans entiers de l'histoire – voire de la préhistoire – qui sont aujourd'hui revisités. Histoire des peuples, sur laquelle nous reviendrons, mais aussi de ceux qui les menèrent. En 1998, les États-Unis apprenaient ainsi que Thomas Jefferson, l'un des fondateurs du pays, était le père d'au moins un des sept fils de sa fidèle esclave Sally Hemings. Ce que la communauté noire tenait pour acquis depuis un siècle, mais que les historiens blancs avaient jusqu'alors toujours réfuté.

La première grande victoire remportée par l'ADN sur l'histoire du xxe siècle date de 1993. Son objet : la résolution du mystère qui entourait, depuis trois quarts de siècle, le sort de la famille impériale russe des Romanov. Pour s'assurer que les ossements découverts en 1991 dans une fosse commune de la forêt d'Ekaterinbourg, dans l'Oural, appartenaient bien à Nicolas II, le dernier tsar de toutes les Russies exécuté dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918, une équipe scientifique russo-britannique compara l'ADN mitochondrial collecté sur ces vestiges avec celui des descendants directs de la famille impériale. Parmi eux : le prince Rostislav Romanov – petit-neveu de Nicolas II –, un membre de la famille de Grèce, et le prince Philippe, duc d'Édimbourg, époux de la reine Élisabeth II et grand-neveu de la tsarine Alexandra.

La biologie moléculaire est une école de patience, et les explorateurs de l'ADN ancien doivent tenir compte d'un facteur particulièrement contraignant : le risque de contamination (cf. encadré page suivante). Ce n'est donc qu'après de longs mois de travail que le service scientifique de médecine légale du ministère de l'Intérieur britannique rendit ses conclusions : les ossements retrouvés appartenaient, « avec une certitude de 99,9 % », aux squelettes du tsar Nicolas II, de son épouse Alexandra et de leurs filles aînées, Olga, Tatiana et Maria. L'ADN prélevé sur les vestiges présumés de la tsarine et de ses filles, en effet, concorde exactement avec celui du prince Philippe. Quant à celui de Nicolas II, il correspond à celui des descendants de sa famille maternelle à raison de 790 paires de bases (les maillons élémentaires de l'ADN) sur 800.