Parmi les personnages présentés, la part belle est donnée à l'Europe. Autour de l'an mille, le moine et chroniqueur bourguignon Raoul Glaber dépeint en noir la fin du millénaire et « offre à l'an mille une existence posthume, illuminée d'une gloire rétrospective », tandis qu'un jeune berger auvergnat, Gerbert, devenu grand lettré et pape sous le nom de Sylvestre II, règne sur le monde chrétien en ami fidèle de l'empereur Otton III. Ce dernier assiste le 19 mai de cette année, à Aix-la-Chapelle, à l'exhumation du cadavre de Charlemagne, car sommeille en lui le rêve d'unir toute la chrétienté.

Une chrétienté en continuelle expansion : à l'est, au peuple hongrois dont le roi Étienne Ier arbore la croix apostolique que vient de lui offrir le pape Sylvestre lors de son sacre, le 1er janvier 1001, faisant ainsi entrer dans la famille chrétienne les descendants d'Attila au premier jour du deuxième millénaire ; au nord, dans les fjords inhospitaliers de Scandinavie, où Olaf Ier de Norvège se convertit, en 999, à la religion nouvelle et envoie un certain Leif Eriksson prêcher la foi nouvelle au Groenland avant de succomber à une coalition viking regroupant Danois et Suédois ; au sud, dans les Balkans, l'empereur byzantin Basile II n'a de cesse de combattre les Bulgares, l'affaire de son règne, une tâche qu'il remplit avant tant de passion que la postérité le surnommera « le tueur de Bulgares ». Mais quelques mois avant l'an mille, c'est au Proche-Orient qu'il combat contre le calife fatimide, qui menaçait un de ses vassaux musulmans. Ainsi, la confrontation chrétienté-islam a-t-elle trouvé son futur terrain d'affrontement. Quant à l'islam, il brille de tous ses feux dans la péninsule Ibérique : l'émir de Cordoue, al-Mansur, prince de l'Andalousie, vient de piller Saint-Jacques-de-Compostelle, non pour conquérir les royaumes chrétiens adossés aux Pyrénées, mais pour qu'ils reconnaissent sa gloire en payant tribut. Guerrier habile, il ne connaîtra de son vivant jamais la défaite devant les souverains catholiques de Navarre, de León, de Castille et de Barcelone. À l'est de l'Europe, l'islam voit loin, bien au-delà des grands fleuves et des immenses déserts. Bloqué en Europe, c'est la péninsule indienne qui l'attire : un guerrier afghan, Mahmud de Ghazna, s'empare de l'Asie centrale peu avant l'an mille avant de se tailler un immense empire jusqu'au Gange.

Ainsi, le monde de l'an mille est un monde des possibles, où l'Occident n'est pas encore le centre le plus dynamique. Une question peut intéresser les historiens à partir d'un constat planétaire. Comment et pourquoi l'histoire ne s'est-elle pas écrite autrement ?

Serge Cosseron
historien