Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

Raz-de-marée électoral des réformateurs en Iran

Les réformateurs iraniens, partisans de la politique d'ouverture engagée par le président Mohammad Khatami, ont remporté une victoire sans équivoque au premier tour des législatives, le 18 février. Vingt ans après l'instauration de la République islamique, ce scrutin, qui met un terme à la domination des conservateurs au Parlement, marque un net tournant dans la vie politique iranienne, qui s'adapte aux exigences de changements d'une société civile embryonnaire. Encore faut-il que les durs du régime, qui possèdent encore les leviers de commande, acceptent de céder la place aux réformateurs.

Après vingt années de la loi d'airain imposée par les héritiers politiques de l'ayatollah Khomeyni, gardiens intransigeants de la révolution islamique, les Iraniens aspirent au changement. Libérée en mai 1997 par l'élection du président Mohammed Khatami, un théologien en rupture de ban des durs du clergé, cette aspiration au changement, qui se mesure à l'échancrure du tchador, aux airs de musique, à la lecture d'une presse plus audacieuse ou à la passion pour le ballon rond, quand elle ne se traduit pas par des flambées de révolte, s'est exprimée massivement et sans ambiguïté dans les urnes le 18 février, à la faveur des élections législatives. Infligeant une cinglante défaite aux conservateurs, qui détiennent les principaux leviers de commande du pouvoir à l'exception de la présidence, c'est un véritable raz-de-marée réformateur qui déferle sur le pays, renversant dès le premier tour le rapport de force au Parlement, le Majlis, au profit des amis du président Khatami, rassemblés sous la bannière du Front de la participation islamique, le Khordad. Signe de la volonté de changement des Iraniens, la participation a atteint plus de 83 % au niveau national, pour 38,7 millions d'électeurs. L'urbanisation d'une société iranienne où la jeunesse prend une importance croissante a joué de façon déterminante en faveur du camp réformateur, dont tous les candidats ont obtenu un net avantage dans les villes sur leurs adversaires conservateurs, même les plus influents. Avant même le deuxième tour, qui concerne les 69 sièges restant à pourvoir, le président Khatami est assuré de pouvoir s'appuyer sur une très large majorité parlementaire, les candidats du Front de la participation islamique ayant obtenu 163 sièges sur les 290 que compte le Majlis. Après avoir exercé une longue domination sur le Parlement, les conservateurs, crédités de 44 sièges seulement, devront se résigner à siéger sur les bancs de l'opposition. À Ispahan, la deuxième ville d'Iran, pourtant considérée comme un fief des conservateurs, les réformateurs remportent la totalité des cinq sièges.

La victoire des amis de Khatami est presque aussi totale à Téhéran, prestigieuse circonscription où plusieurs importantes personnalités étaient en lice pour obtenir les suffrages des quelque sept millions d'électeurs inscrits dans la capitale. Se présentaient en effet les candidats les plus en vue, dont Mohammad Reza Khatami, le frère cadet du président, à la tête du Front de la participation islamique, suivi par plusieurs autres réformateurs influents, dont Hadi Khamenei, le propre frère de l'ayatollah Ali Khamenei, guide de la révolution islamique et chef de file du courant conservateur. Dans le camp conservateur, plusieurs personnalités influentes ont perdu leur siège, comme l'ancien ministre des Services secrets Ali Fallahian à Ispahan ; d'autres ne l'ont conservé que d'extrême justesse ou doivent s'en remettre au deuxième tour.

Élu in extremis à Téhéran, l'ancien président Hachémi Rafsandjani devait renoncer à son mandat le 24 mai, privant ainsi les conservateurs d'une de leurs principales figures, pressentie pour le très influent poste de président du Parlement.

Une victoire pour Khatami ?

Cette victoire électorale renforce indéniablement le président Khatami, chiite modéré de cinquante-six ans qui tente depuis trois ans d'élargir l'espace des libertés individuelles, de libérer la presse et de réduire l'influence des mollahs et autres caciques du régime dans le gouvernement iranien, la justice et la vie quotidienne, en s'appuyant sur les anciens cadres de la révolution gagnés par l'esprit d'ouverture et le vent des réformes. Mais toutes les tentatives de réformes du président Khatami ont jusqu'ici été bloquées par les durs de l'État islamiste, majoritaires au sein du Majlis sortant, garants de l'héritage révolutionnaire et prompts à anathématiser les « traîtres » et laquais des grands et petits satans. Si le pays légal tend à se rapprocher du pays réel, la partie est loin, donc, d'être gagnée pour Khatami, qui doit ménager les religieux tout en tempérant les ardeurs d'une société civile en gestation, dont l'impatience se traduit par des mouvements de protestation sporadiques comme celui qui avait mobilisé la rue iranienne durant l'été 1999. Un exercice difficile pour ce président soucieux d'améliorer l'image de son pays à l'étranger sans pour autant remettre en cause les principes sur lesquels repose le régime. La communauté internationale a accueilli favorablement les résultats du scrutin législatif, Washington faisant même un geste de bonne volonté avec l'assouplissement des sanctions commerciales imposées à l'Iran, qui pourra à nouveau exporter ses produits traditionnels, comme les tapis et le caviar, aux États-Unis. Mais les conservateurs, qui acceptent mal leur défaite, comme en témoignent leurs manœuvres visant à contester les résultats électoraux pour une dizaine de sièges et à différer la tenue du deuxième tour de scrutin initialement prévu en avril, ne sont pas près de céder le pouvoir et préparent une vaste contre-offensive en direction de la presse, principal véhicule des réformes. Sans compter que les lois passées par le nouveau Parlement doivent avoir l'aval du Conseil des gardiens, constitué de 12 membres et contrôlé par les amis de l'ayatollah Khamenei, à qui revient toujours le dernier mot, et que les Pasdaran, les gardiens de la révolution, n'ont pas désarmé et veillent avec une vigilance accrue au respect des préceptes islamistes dans une société toujours plus frondeuse et qui attend que soient mises en œuvre les réformes plébiscitées dans les urnes. Une situation réellement explosive...