Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

La fusion AOL-Time Warner : place « net » à la « nouvelle économie »

Le premier fournisseur d'accès à Internet au monde, AOL, et le numéro un mondial de la communication, Time Warner, annoncent leur fusion le 10 janvier, donnant naissance à un empire mêlant le Net, la télévision, le cinéma, la presse et la musique.

Après avoir évité l'obstacle tant redouté du fameux bogue informatique de l'an 2000, la « nouvelle économie » se voit ouvrir la voie royale sur la grande autoroute de l'information, avec la rencontre de deux poids lourds de la communication qui scelle l'alliance entre Internet et les médias, principaux vecteurs d'une mondialisation triomphante à l'aube du xxie siècle. Le 10 janvier, le premier fournisseur d'accès à Internet au monde, America On-line (AOL), et le numéro un mondial de la communication, Time Warner, annoncent leur fusion par échange d'actions, donnant ainsi naissance à « la première entreprise de presse et de communication au monde pour le siècle de l'Internet » selon les termes du communiqué conjoint.

280 milliards de dollars

Décidé en octobre 1999 par le bouillant P-D G. d'AOL âgé de quarante et un ans, Steve Case, qui a toujours gardé l'initiative dans cette alliance historique, le mariage avait été fixé au tout début de l'an 2000, afin d'inaugurer un siècle frappé du sceau de la « nouvelle économie ». Mais, au-delà du symbole, les sommes engagées ont donné à ce mariage exemplaire un faste largement à la hauteur des enjeux économiques annoncés : la transaction, estimée à 280 milliards de dollars (1 800 milliards de francs), constitue la plus grosse opération dans l'histoire boursière et traduit à ce titre la puissance bien réelle d'une « nouvelle économie » que de nombreux experts avaient réduite à une dimension strictement spéculative, la condamnant à un inéluctable effondrement à moyen terme. Car, en fait de mariage, la fusion entre les deux géants se définit plutôt comme une prise de contrôle du supermagnat des médias par le fournisseur d'accès au Web, dont les actionnaires détiendront 55 % du nouveau groupe baptisé en toute simplicité AOL Time Warner. Même si on y a mis les formes en signe de respect dû à l'ancienneté du pionnier de la communication, dont les titres de noblesse remontent à la fondation du journal Time, le rapport de force est en faveur d'Internet, dont le grand prêtre, Steve Case, sera le président du nouveau groupe, laissant au P-DG de Time Warner, Gerald Levin, soixante ans, le fauteuil de directeur général et à son numéro deux et plus gros actionnaire, le fondateur de CNN, Ted Turner, soixante et un ans, celui de vice-président. Fort de ses 22 millions d'abonnés dans le monde, le maître du Net tisse sa toile sur le monde des médias, en contrôlant la première chaîne mondiale d'informations, CNN, et les films de la Warner ; s'il offre à Time Warner le débouché tant recherché sur la toile, il y gagne plus encore en accédant à son réseau câblé et en dotant ses services en ligne de contenus télévisuels, musicaux, cinématographiques et éditoriaux qui étancheront la soif d'information des internautes. En termes financiers aussi, l'économie « virtuelle » a réussi avec succès son examen de passage vers l'économie réelle : AOL a réalisé sur l'exercice 1999 un chiffre d'affaires de 4,8 milliards de dollars, engrangeant un confortable bénéfice de 762 millions de dollars, alors que son partenaire Time Warner, s'il affiche le chiffre d'affaires plus imposant de 26,8 milliards de dollars, paraît en comparaison peu rentable, avec un bénéfice de 168 millions de dollars, une faiblesse largement compensée il est vrai par un catalogue de marques et de programmes universellement connus, évalués à 97 milliards de dollars et disponibles désormais sur le Net. Emblématique de la progression fulgurante des technologies de l'information (informatique, Internet, télécommunications, commerce électronique) sur fond de mondialisation galopante, cette fusion du troisième type donnerait donc raison aux apôtres de la nouvelle économie qui avaient fait le pari de l'Internet à la Bourse des nouvelles valeurs. Indicateur infaillible d'une tendance qui suscite un engouement spéculatif sans doute démesuré, le nouveau groupe domine un paysage économique remodelé en profondeur depuis quelques années par le Web et les activités connexes qui représentaient aux États-Unis en 1999 un chiffre d'affaires de 507 milliards de dollars, soit bien plus que les transports aériens ou les télécommunications. Et la tendance s'inscrit à la hausse si l'on en croit les projections pour le commerce électronique, qui pourrait atteindre 1 300 milliards de dollars en 2003. Mais, pour une fusion spectaculairement réussie, combien de ces jeunes sociétés liées à Internet ou à la haute technologie vont se brûler les ailes après avoir goûté au très artificiel paradis de la Bourse, où elles ont atteint des cotes sans rapport avec leur taille, leur chiffre d'affaires ou leur rentabilité ? Combien de ces start-up hyper-médiatisées vont être rejetées sur les bas-côtés de cette autoroute de l'information où la concurrence est aussi âpre que dans l'économie classique ? La brusque chute des cours en mars et en avril au Nasdaq, la Bourse de valeurs des nouvelles technologies, résonnait à cet égard comme un signal d'alarme qui, sans donner complètement raison aux Cassandre prophétisant l'auto-dissolution prochaine de la nouvelle économie, devrait calmer une frénésie spéculative qui doit plus à un effet de mode qu'à une évolution rationnelle des comportements économiques. Même les plus grands, comme AOL Time Warner, ne sont pas prémunis contre les conséquences imprévisibles d'une révolution dont le cours n'a pas encore été maîtrisé. Et le nouveau géant, qui a su imposer son rythme au monde de la communication, est condamné à la surenchère technologique pour ne pas être pris de vitesse par les concurrents ou ramené à la dure réalité boursière de l'économie « traditionnelle ».