L'Argentine tourne la page Menem

Le dimanche 24 octobre les Argentins élisent leur président de la République, et s'apprêtent, ce faisant, à tourner la page sur la décennie Menem. À la veille du scrutin, les sondages annoncent déjà la victoire du chef de l'opposition, le maire de Buenos Aires, Fernando de la Rua, devant le candidat péroniste Eduardo Duhalde, dauphin de Menem, lequel le soutient du bout des lèvres. Si, lors du changement de gouvernement le 10 décembre, la transition se fait en douceur, sans le moindre soubresaut à la Bourse, la portée symbolique de l'élection n'est pas mince : seize ans après la fin de la dictature militaire et au terme de dix années de gouvernement Menem, c'est la consolidation de la démocratie argentine qui est en jeu. Néanmoins, les Argentins, démobilisés et opprimés par la crise de leur pays, peinent à croire en cette échéance politique. Leurs sentiments sont mêlés entre indifférence, soulagement et renoncement.

À la veille du scrutin, seuls deux « tickets » sur les 10 en compétition sont donnés favoris des sondages. Le premier est formé par Fernando de la Rua et Carlos « Chacho » Álvarez pour l'Alliance (coalition de centre gauche regroupant l'Union civique radicale [UCR] et le Front pour un pays solidaire Frepaso]) créditée de 44 % d'intentions de vote. Le second est celui d'Eduardo Duhalde (vice-président de Menem de 1989 à 1991) et Ramón « Palito » Ortega, pour le Parti justicialiste (péroniste, du nom de son fondateur Juan Perón), avec 32 %.

Le dimanche 24 octobre, Fernando de la Rua est élu au premier tour, et pour quatre ans, président de la République argentine avec près de 50 % de suffrages exprimés. Avocat de formation (la seule ville de Buenos Aires en compte 40 000), Rua devra composer avec une opposition forte. Certains analystes parlent même de « cohabitation politique ».

Une nécessaire composition politique

Le Parti justicialiste, s'il a perdu la majorité à la Chambre des députés, conserve en effet le contrôle au Sénat jusqu'en 2001, ainsi que deux tiers des 24 provinces. La marge de manœuvre politique s'annonce donc étroite. D'autant qu'à Buenos Aires le vice-président Carlos Ruckauf, a été élu gouverneur d'une province qui regroupe près de 40 % de la population. De même, le parti du « troisième homme » de l'élection présidentielle, Domingo Cavallo, ancien ministre de l'Économie de Carlos Menem, et ses députés d'« Action pour la République » pourraient jouer un rôle d'arbitre à la Chambre sur les questions budgétaires. L'Alliance n'y dispose en effet que d'une majorité relative.

Fernando de la Rua, antithèse de Carlos Menem

Après dix ans au pouvoir, Carlos Menem (69 ans), le président sortant, ne peut se représenter. Sa cote de popularité n'a cessé de décroître avec 86 % d'opinions favorables en 1989 et 28 % dix ans plus tard. Il n'en garde pas moins, en dépit des accusations de corruption qui pèsent sur son régime, des appétits de pouvoir. Il prépare déjà les élections de 2003. Des affiches « Menem 2003 » ont d'ailleurs été collées pendant la campagne sur les murs de Buenos Aires. S'étant par ailleurs fait nommer à la présidence du Parti justicialiste, il conserve la tête de l'opposition.

Décrit par la presse comme un « homme politique honnête et plutôt austère », tout à la fois « mince, élégant, froid et distant », le radical de la Rua (62 ans), plusieurs fois sénateur et député, a été élu maire de la ville de Buenos Aires en août 1996.

La rigueur joue assurément en sa faveur. Pour ce scrutin, il a construit toute sa stratégie autour de deux axes : « reconstruire une Argentine pour tous » et en finir avec « la frivolité et la tromperie » qui ont caractérisé les années Menem. En bref, une critique en règle du gouvernement sortant. À Rua le soin de fustiger la corruption contre les « privilégiés » et de défendre en contrepoint la « force morale », à Chacho Álvarez celui de s'en prendre aux orientations économiques de Menem, et notamment aux privatisations qui ont entraîné des licenciements nombreux.

Le coût de l'héritage Menem

Car si les Argentins reconnaissent au président sortant Carlos Menem l'efficacité de sa politique contre l'hyperinflation de 1989 et une certaine stabilité économique, ils lui reprochent l'accroissement massif des inégalités, de l'exclusion et de la pauvreté.