Journal de l'année Édition 2000 2000Éd. 2000

Si elle était prévisible donc, la reprise des hostilités intervient à point nommé pour le Kremlin, éclaboussé par des scandales de corruption et menacé par l'opposition, rassemblée autour du maire de Moscou Iouri Loujkov et de l'ex-Premier ministre Evgueni Primakov dans l'alliance « La Patrie - Toute la Russie » qui associe les puissants gouverneurs de régions à une offensive groupée redoutée par le clan d'Eltsine à l'approche des législatives de décembre et des présidentielles de l'an 2000. Alors qu'Eltsine est en chute libre dans les sondages, la guerre du Caucase apparaît comme une manœuvre de diversion permettant de proclamer l'état d'urgence et de geler le processus électoral, ou de redorer le blason de l'équipe au pouvoir.

Un objectif politique

C'est ce second objectif qui est en passe d'être atteint alors que les succès militaires russes offrent une popularité inattendue à Poutine, personnalité sans charisme soudain promue dauphin d'Eltsine. Attribués aux Tchétchènes, les attentats sanglants qui ont fait au moins 300 morts en septembre à Moscou et dans d'autres villes russes ont suscité une « union sacrée », éclipsant les soupçons pesant sur l'entourage du Kremlin, et tout particulièrement son éminence grise, Boris Berezowski, qui a ses entrées en Tchétchénie où Bassaïev, dont la tête est aujourd'hui mise à prix par les militaires russes, aurait bénéficié de ses largesses. Après avoir expulsé les islamistes du Daguestan et entouré la Tchétchénie d'un cordon sanitaire, l'armée russe est entraînée dans une fuite en avant qui la conduit début octobre aux abords de Grozny. Grisée par son avancée rapide, désireuse de prendre sa revanche sans répéter les erreurs passées, la Russie s'installe dans une nouvelle guerre totale, qu'elle voudrait « propre », même si les bombardements tuent des civils et poussent 170 000 réfugiés vers la petite Ingouchie ; on utilise les grands moyens pour éviter des victimes russes susceptibles de retourner l'opinion contre le Premier ministre, qui supervise personnellement les opérations et les survole même à bord d'un avion de combat, tandis que la presse russe veut donner l'illusion de la transparence à cette campagne militaire que Moscou se plaît à comparer à celle de l'OTAN au Kosovo.

Mais cette guerre menée au nom de l'intégrité territoriale et de la lutte anti-terroriste semble bien viser une reconquête de la Tchétchénie que la communauté internationale ne dénonce que mollement. Une entreprise d'autant plus risquée que le Kremlin a coupé court au dialogue avec les autorités tchétchènes, en leur déniant toute légitimité désormais. Le pouvoir russe aux abois a tout misé sur la carte tchétchène, jouant son va-tout à la veille des présidentielles. Eltsine avait commencé son deuxième mandat en 1996 sur fond de défaite en Tchétchénie ; il prend le risque de le terminer sur un nouveau fiasco, que les électeurs ne lui pardonneraient pas cette fois, ou, au mieux, de léguer à ses héritiers un problème que les armes ne suffiront pas à régler.

Gari Ulubeyan

Le Daguestan à l'épreuve de la « guerre sainte »

Le Tchétchène Chamil Bassaïev et le Jordanien Khattab voulaient créer au Daguestan une république islamique, élargissant ainsi les assises de la Tchétchénie, dans la perspective d'un Caucase musulman libéré des Russes. Secoué par une série d'attentats attribués aux fondamentalistes musulmans « wahhabites », le Daguestan n'a pourtant pas répondu aux appels à la « guerre sainte » dont il fut le berceau au siècle dernier, sous la conduite du mythique imam Chamil. Cette république de 50 000 km2 baignée par la Caspienne compte 2 millions d'habitants, mosaïque d'une trentaine d'ethnies. Les rivalités entre ces peuples profitent aux Russes et garantissent jusqu'à nouvel ordre la loyauté envers Moscou de cette république qui est parmi les plus pauvres de la Fédération.