Élections en Algérie

Alors que l'Algérie entrait dans sa septième année de guerre, les électeurs ont été conviés une nouvelle fois à élire le 15 avril leur président dans le cadre d'un scrutin qui s'est transformé en vote pluraliste pour un candidat unique – Abdelaziz Bouteflika –, après le retrait remarqué des six autres candidats.

En annonçant sa démission en septembre 1998 – alors que son mandat devait l'emmener jusqu'à la mi-novembre 2000 –, le président Liamine Zeroual avait pris de court les milieux politiques algériens, l'opinion publique et la communauté internationale. Dans un pays où l'opacité politique est de rigueur, on en était réduit à former plusieurs hypothèses.

C'est ainsi que furent notamment évoqués l'état de santé du général Zeroual et l'exacerbation des tensions sociales que ce soudain départ aurait pu, au moins temporairement, désamorcer. Mais c'est surtout du côté des clivages importants au sein de l'équipe dirigeante que l'on a tenté de trouver la clé de l'explication. Près d'un an plus tard, alors que Abdelaziz Bouteflika prenait les rênes du pays, la démission de son prédécesseur n'avait guère perdu de son mystère.

Pour autant, la plupart des commentateurs de la vie politique algérienne ont estimé que le général Zeroual avait été victime d'un sévère conflit au sein de la poignée de militaires qui détiennent le pouvoir réel de ce côté de la Méditerranée.

Le candidat des militaires

Ainsi, le général Mohamed Betchine, un proche du président Zeroual, s'était attiré les foudres de la fraction éradicatrice-laïque du haut commandement militaire pour avoir défendu une ligne islamo-populiste. Liamine Zeroual aurait donc été poussé sur la touche en raison de sa trop grande parenté idéologique avec le général Betchine, les deux hommes étant réputés très proches. Dans ces conditions, la future élection offrait a priori d'autant moins d'intérêt que, de tous les candidats, le premier à se déclarer était Abdelaziz Bouteflika, un vieux routier de la politique – il fut quatorze ans durant ministre des Affaires étrangères de Boumediene –, désigné à l'unanimité par le Front de libération nationale (FLN) comme celui qui porterait les couleurs de l'ex-parti unique. Un handicap de taille en termes d'image, aggravé par le soutien implicite de la hiérarchie militaire. Difficile donc de croire en la sincérité et la transparence d'un scrutin engagé sous des auspices aussi peu démocratiques. Ce fut à n'en pas douter le sentiment des autres candidats, qui ont choisi de ne pas participer à une « course » dont le gagnant était connu à l'avance : ainsi, Hocine Aït-Ahmed, leader du Front des forces socialistes, Ahmed Taleb-Ibrahimi, ministre sous les présidents Boumediene et Chadli, Mouloud Hamrouche, ancien Premier ministre de M. Chadli au lendemain des émeutes d'octobre 1988, Mokdad Sifi, ancien Premier ministre du président Zeroual, Abdallah Djaballah, fondateur du parti islamiste légal Ennahda, et Youssef el-Khatib, ancien colonel de la guerre d'indépendance, ont dénoncé des « fraudes massives » lors des premiers votes au Sahara et dans les casernes. C'est donc avec le statut de candidat unique que A. Bouteflika, soutenu par les partis gouvernementaux et les militaires, a remporté le scrutin présidentiel avec 73,79 % des suffrages exprimés. Selon les sources officielles, la participation a été de 60,25 % – quelque 10,5 millions d'électeurs se seraient donc déplacés. Alors que le nouveau président a vu dans la forte mobilisation électorale la légitimité dont l'aura privé le retrait de ses rivaux, ces derniers ont paru pour le moins sceptiques sur la réalité des chiffres officiels. Quant à Liamine Zeroual, la crise politique déclenchée par la décision des candidats de renoncer à briguer le suffrage de leurs concitoyens l'a privé de la sortie honorable à laquelle il aspirait de toute évidence.

Les chantiers du président

Soucieux donc de gommer l'image d'une élection dont c'est peu de dire qu'elle n'a pas tenu ses promesses démocratiques – qui n'a pas songé, dès le début du scrutin présidentiel, aux vieux démons de l'ancien système du parti unique, le Front de libération nationale (FLN) ? –, le nouveau chef de l'État a multiplié les déclarations destinées à peaufiner l'image d'un homme libre, volontiers à l'écoute des autres, prêt au dialogue, certes, mais néanmoins capable d'une grande fermeté. Quitte aussi à jouer une partition attendue. Paris en fit les frais, qui, pour s'être timidement interrogée sur la transparence du scrutin présidentiel, s'est attiré les foudres de M. Bouteflika, alors que les commentaires beaucoup plus critiques de Washington n'ont guère suscité de réactions de la part d'Alger. S'il est vrai que jouer de la culpabilité de l'ancienne puissance coloniale reste ici largement consensuel, pour le reste tout divise. La tâche du successeur du président Zeroual sera apparue bien vite plus que difficile, alors qu'il lui faut établir le cadre d'une paix effective – le chemin qui mènerait à une véritable réconciliation nationale s'apparente à un labyrinthe d'une grande complexité – dans un pays miné par une crise sociale et économique aux effets dramatiques. Pour autant, le chef de l'État a pu se prévaloir de quelques atouts propres à débloquer – en partie – la situation politique. Ainsi, le 6 juin, l'Armée islamique du salut (AIS), qui avait décrété une trêve unilatérale en octobre 1997, annonçait qu'elle déposait les armes. Aussitôt, M. Bouteflika, ne craignant pas de faire siennes quelques-unes des propositions que l'opposition avait avancées en 1996 à l'issue de la réunion qu'elle avait tenue à Sant'Egidio, annonçait le dépôt d'une loi sur la « concorde civile » soumise à un référendum après l'aval du Parlement. Parallèlement, il annonçait une amnistie pour les militants islamistes « n'ayant pas participé à des crimes de sang ». Sur le plan extérieur, M. Bouteflika a fait preuve d'une activité incontestable destinée autant à redonner à l'Algérie un rôle actif sur l'échiquier international qu'à asseoir à l'extérieur l'image d'un président indépendant – entendons des militaires qui l'auraient fait roi – et capable d'influer sur le cours de la guerre civile. Certes, il a tenu parole – le Parlement et les Algériens ont approuvé la loi sur la « concorde civile » et des islamistes ont effectivement retrouvé la liberté –, mais son impuissance à former un gouvernement six mois après les élections laisse à penser que les hommes de l'ombre n'ont pas tous choisi de renoncer à la politique pour se consacrer à la stratégie.

Alain Polak

Une crise économique et sociale

En matière de politique économique, Abdelaziz Bouteflika, qui a pourtant dénoncé à plusieurs reprises une « économie de bazar » caractérisant l'Algérie, est resté dans le vague. Mais si l'extraordinaire degré de violence dans laquelle la guerre a plongé le pays occupe le devant de la scène politique intérieure, il reste que la crise sociale et politique a fait le lit des islamistes lors du scrutin invalidé de décembre 1991. On estime que 14 millions d'Algériens vivent en dessous du seuil de pauvreté (près de la moitié de la population), alors que 11 millions de personnes sont analphabètes et que le chômage touche 30 % de la population active.