Nostalgies, nostalgies... Les décennies 70 et 80 constituent un réservoir d'inspiration inépuisable. Emanuel Ungaro a repris la route de Goa, avec ses nomades colorées en vestes de bouclette de laine ou rebrodées en daim floqué et jupes gypsy de velours, et longues bottes gainantes, qui représentent l'accessoire de rigueur. Valeur montante de la création belge, Véronique Brankuinho se passionne, elle, pour les débuts des années 80 : blouses d'écolière, jupes retroussées jusqu'à la taille par une sangle et veste militaire ceinturée, couleurs d'automne pas franchement gaies, une vision intéressante du vestiaire intello-grunge. Nostalgie des années 80 également chez Givenchy – toiles enduites et cachemire, coupes au carré et lignes cassantes –, où Alexander McQueen présente une collection d'un futurisme discret, voire sage, aux silhouettes précises impeccablement dessinées.

Le défilé de Jean-Paul Gaultier se place sous le signe du métissage, de la paix et de l'union : hymne au contraste, au mélange des cultures, d'âges, de races et de sexes, rustique et glitter, rastas du Grand Nord, geishas disco, rappeuses et quinquagénaires à cheveux blancs. Une collection de prêt-à-porter sophistiquée – depuis qu'il s'est lancé dans la haute couture, Jean-Paul Gaultier dispose d'ateliers performants – jusque dans les paillettes des robes du soir noires, l'écossais des kilts, les motifs Burlington ou jacquard des pulls, le travail du mouton retourné travaillé en complexe patchwork pour pulls ou écharpes façon jacquard ou maille irlandaise. Dépaysement hivernal chez Christian Lacroix, avec, comme toujours, une collection prêt-à-porter très couture : colliers massaï, broderies chinoises pour robes et jupes structurées, majoritaires cet hiver, motifs « fleur tahitienne » empruntés aux paréos imprimés sur des fonds noirs et déclinés en jaune presque fluo, rouge-orangé, turquoise ou fuchsia, tailleurs-pantalons très toréadors. Une procession haute en couleurs et en motifs. Glamoureuse à souhait, d'une extravagance maîtrisée, telle était la représentation John Galliano, qui met la maille à l'honneur : ethnique dans de grands manteaux-châles ou des robes grand soir à cols boule géants en chenille plumée ; traditionnelle avec les tailleurs sexy à jupes étroites et à silhouette années 40. Un bric-à-brac pour riches oisives. Tandis que Kenzo fait défiler ses trente ans de mode – des couleurs, du confort doux comme ses matières –, Jean-Charles de Castelbajac prépare la troisième guerre mondiale dans une station de métro, habillant sa soldatesque de tissus camouflage, de vêtements de suivie et de feutre, et Vivianne Westwood livre ses caricatures antisexy de la femme avec ses badigeonnages couture ! Léonard, lui, propose une robe de mariée en papier hygiénique japonais. Sans doute la palme du mauvais goût !

La haute couture de l'automne-hiver 1999-2000

Le dernier défilé haute couture avant les années 2000 a jeté ses ultimes feux en forme de testaments, de bilans ou d'espoir pour l'hiver charnière du xxe siècle. Qu'en reste-t-il ?

Alexander McQueen pour Givenchy, l'un des fleurons du groupe LVMH, dresse le bilan d'un millénaire de costumes, du xie au xviiie siècle, avec une préférence pour le Moyen Âge : mannequins hybrides masculins-féminins surgis des croisades, pourpoints à nageoires et jupes à crevés, tissus d'antan, brocarts et damassés. D'une folie sage, Jean-Paul Gaultier signe une collection brillante, sinon démonstrative, où l'on remarquait l'excellence du travail de broderie et de fourrure. Lorgnerait-il la succession d'Yves Saint Laurent ? « Importable », se sont écriés les importateurs américains, malgré tout impressionnés par la démesure du tapis d'eau de 140 mètres de long étendu sous les ors du château de Versailles, devant la collection de John Galliano pour Dior, présentée par des guerrières futuristes au regard charbonneux toutes droit sorties du dernier Matrix : véritables habits de sorcières de night-clubs ou cuirs masochistes, au milieu desquels les clientes de Dior peineraient à identifier la griffe maison. Pour se remettre, les importateurs américains sont allés chez Yves Saint Laurent prendre leur leçon de style bisannuelle. Dans les salons de l'hôtel Intercontinental, il n'y a plus place pour le délire, mais l'assurance d'une couture faite pour être portée, dont le charme discret tient à la perfection des coupes, aux nuances délicates des coloris, aux plissés, aux décolletés en mouette et en Y portés par des mannequins, sans oublier la robe noire, telle que le jeune Saint Laurent la dessinait pour Dior, et que Richard Avedon immortalisa en 1955. Autre préservation d'un symbole, celle de Karl Lagerfeld pour Chanel, qui y injecte néanmoins de la modernité à haute dose avec des coupes « fractales » et des ouvertures-fermetures secrètes.