Justifiant son slogan « Avec nous, osez la différence », cet ensemble de trois salles s'est imposé comme un rendez-vous unique, à l'adresse des jeunes compagnies. C'est là que s'est installé, au mois de mai, la curieuse Chambre du professeur Swedenborg, qu'on retrouvera au Maillon de Strasbourg – un spectacle indéfini entre enquête et conférence rassemblant comédiens et publics dans le même espace reconstruit d'une chambre de quelques mètres carrés. C'est là que l'on a pu découvrir, avant même qu'il ne soit l'invité du Festival d'Avignon, cet été, l'enfant prodige du théâtre allemand, Thomas Oestermeier, avec sa mise en scène d'Homme pour homme, de Brecht... Parmi les autres scènes à ne pas oublier : le Théâtre des Artistic-Athévains d'Anne-Marie Lazarini, l'Espace Kiron, le Lavoir Moderne Parisien, le Théâtre de la Tempête, où Philippe Adrien s'est attelé à son tour à l'Autrichien Werner Schwab avec Excédent de poids, amorphe, ou encore le Théâtre de la Bastille, qui, outre l'Antigone de Marcel Bozonnet, a accueilli successivement Michel Deutsch et les musiciens de Sentimental Bourreau pour des Imprécations 36, Jean-Michel Rabeux et des Enfers Carnaval mettant en scène la mort et les corps, Jean-Quentin Châtelain, acteur unique du Premier Amour de Beckett.

Du côté des institutions...

Sans le dire, ni même le prétendre, tous ces lieux ont su jouer un rôle de relais indispensable entre la jeune création et des institutions comme – on l'a vu – le Théâtre national de Lille, produisant le Baal de Richard Sammut, ou le Théâtre national de Bretagne avec l'Inspecteur général de Matthias Langhoff, ou les Pensionnaires, la dernière folie de Jérôme Deschamps et Macha Makeieff. Comme le Théâtre de la Ville, à Paris, qui, après le Marion Delorme d'Éric Vigner, a reçu, dans sa petite salle des Abbesses, Chair empoisonnée, de Frantz-Xaver Kroetz, créé en France par Christophe Perton, jeune metteur en scène au regard sombre, en contraste total avec celui d'André Wilms, qui a mis aussi en scène Kroetz, mais cette fois au Théâtre national de la Colline et dans un rire « hénaurme », partagé entre comédie à l'italienne et dessin de Reiser. Et comme toujours, fidèle à cet esprit, l'Odéon-Théâtre de l'Europe. À côté de ses propres créations (les Géants de la montagne de Pirandello en catalan, l'Orestie d'Eschyle), Georges Lavaudant a su recevoir des productions faisant preuve du même esprit de recherche, qu'elles soient françaises ou étrangères. Les unes, au bord d'un canal, dans une « cabane » de bois qui n'est pas sans rappeler le charme des théâtres des « barrières » parisiennes de jadis – Ivanov de Tchékov mis en scène par Éric Lacascade ou Loué soit le progrès de Gregory Motton, par l'Allemand Lukas Hemleb. Les autres dans sa grande salle au plafond peint par André Masson – un Pinocchio magnifiquement douloureux de Bruno Boeglin ; Ce soir on improvise, de Pirandello, magistrale leçon de théâtre signée Luca Ronconi.

Foyer depuis les années 60 du renouveau théâtral en France, la « banlieue » n'est pas demeurée en reste. À Saint-Denis, où Stanislas Nordey, avant d'être contraint par le ministère de la Culture de réduire l'activité du CDN pour cause de déficit financier, a continué à jouer les francs-tireurs du « service public » au Théâtre Gérard-Philipe, ne proposant que des jeunes metteurs en scène – dont lui-même – et un théâtre de recherche – dont le sien, avec Porcherie de Pasolini. À Gennevilliers, où Bernard Sobel, directeur du Centre dramatique national et metteur en scène du Juif de Malte de Marlowe, a su s'ouvrir à des créations pas toujours évidentes – I-O de Bruno Bayen, Idylle à Oklahoma, adapté de l'Amérique de Kafka par Claude Duparfait, Œdipe roi de Sophocle revu par Laurent Guttman à la lumière de la traduction de l'incontournable Jean Bollack, Thyeste de Sénèque ressuscité par Sylvain Maurice... À Aubervilliers, où Didier Bezace approfondit son travail autour de l'écriture, traduisant magistralement sur le plateau des textes non écrits à son intention avec les reprises de l'inoubliable Femme changée en renard d'après le roman de David Garnett et du fantasque Colonel-oiseau du Bulgare Hristo Nboytchev, qu'il a fait découvrir pendant l'été au Festival d'Avignon. À Bobigny, enfin, où, de « coups de gueule » salutaires d'un Jean-Louis Hourdin sur le théâtre, l'état de la France et de la société (Ça respire toujours) en « classiques » décapés (le Misanthrope, selon Lassalle), la MC 93 a achevé l'année en beauté avec les Peines de cœur d'une chatte française tout en féerie et en masques d'Alfredo Arias. Renouant avec la veine des Peines de cœur d'une chatte anglaise, créées il y a plus de vingt ans, le metteur en scène argentin a célébré comme jamais la magie du faux plus fort que le vrai, de l'illusion qui dépasse la réalité.

Le millésime du Festival d'automne

Ce spectacle, qui avait inauguré peu auparavant, à Nantes, la nouvelle direction de la Maison de la culture de Loire-Atlantique confiée à Philippe Coutant, était proposé sous le label d'un Festival qui, trente ans après sa naissance, demeure l'un des temps essentiels de la vie théâtrale en France. Malgré une concurrence de plus en plus sévère des autres festivals et des grandes institutions, cette manifestation imaginée par Michel Guy a su créer encore l'événement, fidèle à ses amitiés comme à ses découvertes. Ses amitiés, ce furent celles le liant à l'Américain Richard Foreman, invité pour la huitième fois dans le Festival avec Hotel Fuck, et au Québécois Robert Lepage, présent pour la cinquième fois avec Zulu Time (tous deux installés à la Maison des arts de Créteil) ; à Claude Régy, aussi, accueilli pour la sixième fois avec Quelqu'un va venir de Jon Fosse, créé à Nanterre.