Tout ce travail fait écho à celui effectué par Alain Françon, directeur du Théâtre national de la Colline – un théâtre qui, en 1998, avait reçu Claude Régy pour l'une de ses mises en scène les plus radicales : Holocauste, de l'Américain Charles Reznikoff. En deux ans à peine, Françon a fait de ce théâtre national situé dans le XXe arrondissement de Paris l'un des hauts lieux d'une écriture dramatique contemporaine inscrite de plain-pied dans le xxie siècle. Nostalgique des années 50, où tout ce qui comptait dans le monde de la philosophie, du roman ou de l'essai (les Sartre, Camus, Mauriac...) s'essayait à l'art de la scène, il a invité la fine fleur des « jeunes » romanciers actuels à écrire pour être joués dans ses murs – François Bon, mis en scène par Charles Tordjman à l'enseigne du CDN de Lorraine (Myriam C) ou Olivier Cadiot, par Jean-Luc Lagarce (le Colonel des zouaves). Dans le même temps, il a créé lui-même le Chant du dire-dire du Québécois Daniel Danis après s'être confronté, à quelques semaines d'écart, par deux fois à Michel Vinaver. La première, c'était avec la reprise des Huissiers écrits en 1958, la seconde avec la création de King, la toute dernière pièce de Vinaver et la plus fascinante tant du fait de son sujet que d'une architecture aussi délicate que savante, comme on en connaît peu. Centré autour de la personnalité de King Gillette, tout à la fois capitaliste, utopiste, fondateur d'une multinationale et inventeur du fameux rasoir, le texte, étonnamment tissé, s'écoute comme une partition polyphonique, mêlant trois temps en un, trois voix en une pour trois acteurs qui sont chacun le même Gillette mais à un âge différent.

De quoi confondre ceux qui, de mauvaise foi ou aveugles, ne cessent de se plaindre qu'il n'y ait plus d'auteurs en France. De ce point de vue, 1999 n'a rien eu à envier à des temps mythiques – ceux des Beckett, Ionesco ou, plus récemment, de Koltès. Le constat est évident. Encore, pour s'en convaincre, faut-il avoir la curiosité de se rendre non seulement au Théâtre de la Colline, mais dans un certain nombre de lieux qui, depuis longtemps, ne cessent d'en administrer la preuve. Notamment le Théâtre Ouvert, créé en 1971, promu Centre dramatique national dix-sept ans plus tard. Sous la gouverne ferme de Micheline et Lucien Attoun, on y poursuit toujours, depuis ses débuts, la même quête obstinée : celle d'une écriture nouvelle et contemporaine. Lectures, ateliers, « mises en espace », mises en scène alternent, donnant à sa salle – le Théâtre du Jardin d'Hiver – des allures de laboratoire, accolé au Moulin-Rouge, au cœur de Pigalle. Nombreux sont les auteurs qui s'y sont fait connaître, notamment Bernard-Marie Koltès ainsi qu'Eugène Durit, dont Jean-Michel Rabeux a mis en scène au mois de novembre la dernière pièce, Meurtres hors champ. C'est ici qu'Alain Françon s'est confronté pour la première fois à Daniel Danis avec Celle-là, il y a trois ans. C'est ici, cette année, qu'il a mis en théâtre l'écriture de Christine Angot dans le cadre d'un « chantier ». Parmi les autres chantiers du Théâtre Ouvert, on peut citer celui consacré à Noëlle Renaude.

Un théâtre d'art et d'essai

On retrouve cette année l'esprit d'un théâtre d'art et d'essai qui souille sur toute la France. Du Théâtre Garonne à Toulouse au Théâtre du Point du Jour de Michel Raskine à Lyon. De la Rose des Vents à Villeneuve-d'Ascq aux Fédérés de Hérisson (tout près de Montluçon), où, poursuivant son cycle d'un théâtre qui mêle hommes et animaux (vache, cheval, truie...) sur le plateau, Olivier Perrier a créé le troisième volet de sa trilogie rurale Utopia Ruralis. Du Théâtre de la Manufacture, collaborant avec l'écrivain François Bon, à Nancy, au Théâtre du Radeau au Mans, où François Tanguy « fabrique » d'étranges « OTNI » (Objets théâtraux non identifiés) philosophiques et poétiques tel cet Orphéon aux langages multiples créé au Théâtre national de Bretagne, à Rennes. De la Maison de la culture d'Amiens produisant un Échange de Claudel revisité aux lumières de Brecht et Rimbaud par un jeune metteur en scène plein de promesses – Bernard Lévy –, au Maillon de Strasbourg dirigé par Nadia Derrar, organisateur, notamment, du Festival Paral.