Adversaire de la réglementation, le maire de Chamonix Michel Charlet stigmatise de son côté l'inévitable tentation qu'entraînent les interdits : « Il semble que cela ajoute au plaisir des jeunes kamikazes de penser qu'ils vont faire la course avec les gendarmes », dit-il devant les traces laissées par les skieurs en infraction dans le couloir du Brévent.

La polémique sécuritaire aurait tourné à la querelle de clocher alpine si trois aventuriers n'avaient pas fait, une semaine durant, la une de l'actualité : partis en excursion le 16 février de Pralognan-la-Vanoise, Christophe Palichleb, Philippe Bourgues et son frère Olivier se retrouvent au bout de plusieurs heures de marche pris dans une tempête annoncée par la météo locale. Montagnards avertis, équipés d'un matériel de survie de qualité, ils s'abritent dans un igloo de fortune creusé de leurs mains dans une congère. Grâce à leur téléphone portable, ils communiquent avec les secours lancés à leur recherche.

Leur « naufrage », au milieu de vents de près de 120 km/h, durera dix jours. Dix jours durant lesquels 80 personnes travaillent d'arrache-pied à leur sauvetage. Pendant ce temps, la presse relate leur aventure, leur courage, l'ingéniosité grâce à laquelle ils parviennent à survivre par une température négative. Le 26 février, profitant d'une accalmie, un hélicoptère parvient à les récupérer à 3 000 m d'altitude.

« Non pas des héros, mais des zéros. »

L'opération de secours a coûté plus de 300 000 F aux contribuables. Une facture qui incombe pour une moitié à la commune de Pralognan, pour l'autre à l'État. Mais, depuis leur igloo de fortune et grâce à leur portable, les trois randonneurs ont vendu l'exclusivité du récit et des photos à l'hebdomadaire Paris-Match pour 350 000 F. Cette révélation fait scandale à Pralognan où les randonneurs ont été accueillis en héros, alors que les sauveteurs n'ont fait finalement « que leur travail ». Ce ne sont plus, d'après les propres termes du substitut du procureur d'Albertville René Ternoy, « des héros, mais des zéros ».

Outré, le maire de Pralognan s'enfonce dans la brèche et profite du revirement de l'opinion publique pour réclamer ce qu'il estime être son dû. 48 heures après le sauvetage, il annonce qu'il va présenter la facture d'une société d'hélicoptères privée aux « rescapés de la Vanoise », comme on le faisait dans le Mont-Blanc, dans les années 1970, pour les opérations de secours exceptionnelles. René Ternoy surenchérit en estimant publiquement que les trois hommes devraient « payer intégralement » le coût des opérations et qu'il aurait envisagé de les poursuivre pénalement si un quelconque accident humain avait eu lieu pendant le sauvetage. Dépassés par la polémique, les trois randonneurs décideront finalement de reverser une partie de leurs droits (50 000 F) à l'association des orphelins de la gendarmerie.

Devant ces attaques contre le principe de gratuité et donc d'égalité devant les secours, le ministre de l'Intérieur Jean-Pierre Chevènement réagit très vite en déclarant que « les secours qui dépendent du ministère sont pour l'essentiel des moyens de service public. Naturellement, ajoute-t-il, cela implique un certain degré de civisme de la part des randonneurs. » Quelques jours plus tard, devant le Conseil national de la montagne réuni à Ax-les-Thermes, le Premier ministre Lionel Jospin estime qu'il n'est pas question de « revenir sur le principe de la gratuité des secours », mais de « responsabiliser » les pratiquants. Par ailleurs, les partisans de la gratuité insistent sur le risque d'une assistance à deux vitesses. Que se passerait-il en effet pour les randonneurs qui ne seraient pas assurés ou qui n'auraient pas les moyens de payer ?

Réglementées et organisées depuis la fin des années 1950 et la mort tragique des alpinistes Vincendon et Henry après une semaine d'agonie dans le massif du Mont-Blanc, les opérations de sauvetage en montagne ont été à nouveau codifiées en 1985. La « loi Montagne » adoptée cette année-là en a réaffirmé la gratuité, introduisant cependant de notables exceptions. Les communes sont ainsi autorisées à demander le remboursement de frais de secours engagés à l'occasion d'accidents de ski alpin ou de ski de fond.