La sécurité en montagne

La montagne est-elle l'un des ultimes espaces de liberté ou bien doit-elle devenir un domaine réglementé, au même titre que les autoroutes ou les plages au mois d'août ? C'est le problème que soulèvent les accidents de plus en plus fréquents, les aventures plus ou moins tragiques de skieurs hors-piste ou de randonneurs « naufragés » qui ont connu, durant l'hiver 1998-1999, une inquiétante inflation.

Si l'on se fie aux chiffres froids et bruts, la saison 1998-1999 en haute montagne n'a été ni pire ni meilleure que les précédentes. Une quinzaine de morts dans le massif du Mont-Blanc. Un peu plus de 100 blessés. Telles sont les données, stables, communiquées par le peloton de gendarmerie de haute montagne de la zone. Mais, du côté de la police des cimes, on s'inquiète de nouveaux phénomènes : « Désormais, on fait le mont Blanc comme on va pique-niquer. Et puis, lorsqu'on se retrouve en difficulté, on sort son téléphone portable », dénonce un gendarme spécialisé. En cet hiver record où l'on a enregistré les plus fortes chutes de neige depuis vingt-neuf ans, l'imprévisible est venu s'ajouter au bilan déjà lourd de l'inconscience : de dramatiques avalanches ont notamment tué 12 personnes à Chamonix le 9 février, et plus de 50 en Autriche quelques jours plus tard.

Du téléphone portable en montagne

Au cours de l'hiver 1998-1999, les responsables des secours ont enregistré de nouvelles dérives induites par le très médiatique feuilleton de la Vanoise. « Cette histoire, déplore un responsable du peloton spécialisé des CRSde Chambéry, a accrédité l'idée qu'avec un portable, en montagne, on s'en sort toujours. Ce qui est faux, car les sauveteurs sont tributaires de paramètres incontrôlables. » Jamais, en effet, les équipes de sauvetage n'avaient enregistré autant d'appels de détresse, souvent abusifs, en provenance de téléphones mobiles. « C'est décourageant, car les progrès de la technologie devraient au contraire contribuer à renforcer la sécurité. » Il est de plus en plus facile, il est vrai, de consulter les prévisions météorologiques, de s'orienter, de se protéger contre des risques qui, quoi qu'il arrive, existeront toujours. Car, avant toute chose, l'imprudence première est d'affronter la montagne.

Faut-il réglementer l'accès à la montagne ?

Dans ce tableau d'apocalypse, l'aventure de trois montagnards expérimentés, miraculés après une semaine passée dans un igloo de fortune au milieu du massif de la Vanoise, a provoqué une vive polémique. Faut-il réglementer l'accès à la montagne ? Peut-on y instaurer un code et, pourquoi pas, remettre en cause la gratuité des secours ? Faut-il, enfin, traiter en délinquants les imprudents qui risquent leur vie et mettent en péril celle d'autrui ? Autant de questions sacrilèges pour beaucoup d'amoureux de la montagne pour qui la seule évocation des notions de « règlement », de « loi » ou de « code » est déjà une entrave à la liberté.

Dans cette bataille quasiment philosophique, deux théories s'affrontent. Aux puristes, pour qui « évoluer en terrain dangereux est l'essence même de l'alpinisme », aux fabricants, pour qui le ski hors-piste est un argument commercial majeur, s'opposent les maires et les préfets dont la responsabilité est de plus en plus souvent mise en cause en cas d'accident. Ou encore les autorités policières et judiciaires, lasses de l'impunité des « délinquants des cimes ».

Dès le début de l'hiver 1998-1999, instruit par les expériences des saisons précédentes, le préfet de Haute-Savoie Pierre Breuil provoque ainsi un premier tollé dans le lobby montagnard en adoptant un arrêté interdisant le ski hors-piste sur tout le département. Un nombre non négligeable de maires de stations alpines ont précédé l'initiative, provoquant les vives protestations de certains de leurs collègues et des professionnels de la montagne, notamment à Chamonix. Dans le département de la Haute-Savoie, le maire des Contamines-Montjoie et président de la Fédération française de ski, Bernard Chevallier, a adopté la même mesure afin de se prémunir contre d'éventuelles poursuites : « Un maire, dit-il, doit avoir la capacité de sécuriser certaines zones. »