CIO, le scandale de la corruption

Quelques mois après les révélations sur le dopage, le monde du sport est à nouveau violemment ébranlé, cette fois par la crise du mouvement olympique. Censé défendre l'éthique sportive édictée à la fin du xixe siècle par le baron Pierre de Coubertin, le Comité international olympique apparaît, au fil des témoignages, comme une confrérie sclérosée et corrompue. Dirigeant très contesté, l'octogénaire Juan Antonio Samaranch a traversé presque indemne la tempête, même si des bouleversements s'imposent. Chronologie et fondements d'un séisme prévisible.

La trahison est venue du cœur même du cénacle. De l'un des fidèles du dernier carré. D'un frère – certes ennemi autrefois – de Juan Antonio Samaranch. En lançant le signal de la procédure d'autodestruction du CIO, Marc Hodler, ancien candidat à la présidence du Comité, a-t-il voulu régler des comptes avec son vieux rival ? Dépoussiérer sa conscience ? Ou a-t-il révélé par sincère écœurement certaines pratiques devenues trop courantes ? L'intéressé lui-même n'a jamais fourni de réponse.

Le 12 décembre 1998, l'ancien président de la Fédération internationale de ski, Helvète de quatre-vingts printemps, membre à vie du CIO, donne un premier coup de scie à la branche sur laquelle il est confortablement assis depuis 1963. En pleine session de la vénérable institution, dans son siège du somptueux château de Vidry, à Lausanne, Hodler lance une bombe devant les journalistes en révélant que sa fédération a, en son temps, vendu les Championnats du monde de ski à la station italienne de Sestrières, propriété du constructeur Giovanni Agnelli, en échange de quelques Fiat. Dans la foulée, il fait ses comptes : « Je savais que certains membres du CIO se laissaient influencer mais je ne les croyais pas si nombreux. 5 à 7 % des délégués du CIO sont corrompus. »

Aussi puissants que des chefs d'État

Inféodés aux sponsors, aux industriels – le Japonais Yoshiaki Tsutsumi, par exemple, qui fît venir les Jeux à Nagano en échange d'une contribution de 300 millions de francs à la construction du musée olympique –, les membres les plus influents du CIO se vantent souvent d'être aussi puissants que des chefs d'État. Ils ont en tout cas réussi à perpétuer, dans leur monde irréel fait de flatteries et de collusions, les pires erreurs des hommes politiques. Sans même avoir une once de leur légitimité.

Des relations publiques coûteuses

Ces déclarations ne font que confirmer ce que l'on entrevoyait déjà. Le scandale couve en effet depuis quelques jours. Fin novembre, des médias locaux de l'Utah ont révélé des irrégularités voyantes dans la campagne de Salt Lake City, candidate désignée à l'organisation des jeux Olympiques d'hiver 2002. Et notamment le soutien, entre 1991 et 1995 (date de l'élection), à un « Fonds d'assistance humanitaire » chargé d'assurer le meilleur accueil possible aux électeurs du CIO. Début janvier, c'est le grand déballage dans la cité mormone : des cartes de crédit du comité d'organisation, le SLOC, auraient servi à payer des call-girls. En tout, quelque 800 000 dollars auraient été consacrés aux opérations de relations publiques avec les messagers de l'Olympe. De l'autre côté du Pacifique, à Nagano, hôte des JO en 1998, les archives parlent aussi et révèlent notamment le prix de la suite de Juan Antonio Samaranch au Kokusai Hotel pendant la durée des Jeux : 13 000 F par nuit.

Partout, c'est le tollé. Las des « méthodes fascistes » du « caudillo » espagnol (The Guardian), la presse du monde entier, du Monde au Times, réclame la démission de Samaranch. Accroché au fauteuil qu'il occupe depuis 1980, le Catalan trouve la parade. Pour sauver sa tête, il décide de jeter en pâture quelques lampistes moins prudents. Le 17 mars, réuni en une session extraordinaire motivée par la crise, le CIO se plie au vote de confiance à bulletin secret. À cet égard, le résultat est édifiant : 86 des 89 votants accordent leur soutien à Samaranch, deux votent contre et un seul vote est nul. Le Soir de Bruxelles commente ainsi ce plébiscite : « Tous les membres, d'une manière ou d'une autre, sont redevables à Samaranch. On ne mord pas la main qui vous nourrit. »

Des exclusions « sacrificielles »

Dans le même temps, un tribunal d'exception étudie les cas épineux. Six délégués sont exclus pour avoir reçu des pots-de-vin de la part de Sait Lake City, et invités à rejoindre les quatre que l'on a « démissionné » lors des premières révélations. Dans la liste des déchus on trouve les membres malien, congolais, soudanais, samoan, équatorien, chilien, swazili ou encore kényan. Le Congolais Jean-Claude Ganga ne décolère pas : « Il est facile de montrer du doigt quelques Africains qui ont profité de relations amicales et d'omettre d'autres collusions dont on a peine à croire qu'elles soient sans conséquence. » Tous les parias sont accusés d'avoir fait bénéficier leurs enfants de bourses d'études aux États-Unis, de s'être fait ouvrir des comptes ou d'avoir reçu des cadeaux dépassant le sacro-saint plafond de 150 dollars fixé par le code de bonne conduite édicté en 1986 par... Marc Hodler.