Pessimiste : le passage à l'an 2000 est marqué par de multiples problèmes – défaillances d'infrastructures clés, rupture des chaînes d'approvisionnement et pénuries temporaires. Les problèmes sont complexes et leur résolution est plus lente que prévu, d'où la montée du mécontentement social. La production industrielle est ralentie, le commerce international paralysé, ce qui peut entraîner une déflation et une récession qui peut atteindre douze mois. Les places boursières s'effondrent d'au moins 30 %.

Alarmiste : le passage à l'an 2000 s'accompagne de plusieurs catastrophes : accident nucléaire ou chimique, crash aérien, etc. Les infrastructures sont paralysées avec des ruptures d'approvisionnement sévères (pannes d'électricité, rupture des communications, pénuries alimentaires et énergétiques), ce qui provoque une dépression économique généralisée qui peut durer jusqu'à cinq ans. Les marchés boursiers explosent...

Les responsables de la situation

Personne n'imaginait que la durée de vie des logiciels et des bases de données des origines dépasserait celle qu'on leur attribuait lors de leur développement. Les systèmes informatiques qui gèrent banques, entreprises et administrations atteignent une extrême complexité et leur évolution s'effectue au gré de remplacements mineurs plutôt qu'à la suite de bouleversements de grande ampleur, les dernières évolutions s'intégrant en douceur aux systèmes anciens, en respectant leurs protocoles. C'est ainsi que des options anciennes, pour des raisons de compatibilité, franchissent les décennies indépendamment de la volonté de ceux qui les ont prises et que se créent les dépendances informatiques.

Le codage de l'année à deux chiffres, si l'on avait pu à l'avance prévoir ses inconvénients, représentait, à une époque où l'an 2000 paraissait bien lointain, une astuce qui faisait économiser de la mémoire, donc de l'argent, et gagner du temps pour effectuer les opérations.

Par ailleurs, l'informatique est une discipline qui relève aussi bien des sciences exactes que de la création artistique et la prévision à long terme n'est pas l'élément majeur qui préside à la conception de certains logiciels où l'imagination et la créativité sont les seules instances auxquelles l'esprit de l'informaticien s'estime tenu de se soumettre. D'autant que les choix des informaticiens se sont propagés ultérieurement indépendamment de leur contrôle. Il est vrai que certains, vingt ans avant l'an 2000, s'aperçoivent de leur « erreur » et tirent les sonnettes d'alarme, auprès des professionnels, entreprises utilisatrices et fournisseurs de logiciels. Mais le déblocage des crédits nécessaires à la prise en charge de la « maintenance » informatique, parce qu'il relève de la catégorie des investissements improductifs, n'est souvent pas à l'ordre du jour. La prise de conscience du problème du bogue est lente. Il faut attendre 1993 pour qu'il soit évoqué dans un article grand public (« Doomsday 2000 ») aux États-Unis, et encore dans un magazine informatique, Computer World. À la fin des années 1990, les gouvernants s'organisent à la hâte pour pallier les risques d'anarchie et de plombage de l'économie mondiale.

Les mesures antibogue en France

Le gouvernement français a pris conscience de l'urgence liée au bogue en février 1998 en nommant un Monsieur An 2000, Gérard Théry. Lionel Jospin a alors décrété la mobilisation générale en lançant dix mesures. À partir du mois de février 1999, un Comité national pour le passage à l'an 2000 réunit tous les deux mois les acteurs du public et du privé. Une brochure de sensibilisation est envoyée à 2 200 000 PME-PMI et un guide pratique de diagnostic des micro-ordinateurs est réalisé. Des plates-formes d'information locales sont constituées en association avec des organisations professionnelles pour orienter les démarches d'adaptation des entreprises, les préparer à la gestion d'éventuels sinistres et les conseiller en cas de difficultés survenant après l'an 2000. Des « hauts fonctionnaires an 2000 » sont nommés dans chaque administration et se réunissent tous les mois en groupe interministériel pour faire le point de la situation. Les préfets doivent élaborer des plans locaux de préparation et de sauvegarde. Une campagne radio, un guide météorologique et un nouveau site web ont pour but de sensibiliser le grand public. Un baromètre du niveau de préparation à l'an 2000 permet de suivre, chaque trimestre, l'évolution du pays. Le code des marchés publics est modifié afin d'accélérer les procédures. Les mesures fiscales qui avaient été prévues pour le passage à l'euro sont étendues au passage à l'an 2000. Le droit du travail est assoupli pour permettre aux informaticiens de travailler plus dans les derniers jours de décembre 1999. Deux mille cinq cents ingénieurs seront formés spécialement au dépistage du bogue de l'an 2000, afin de pallier la pénurie d'informaticiens qualifiés.

Veillée d'armes

Le 31 décembre, le dispositif de passage à l'an 2000 mis en place par le gouvernement français est fin prêt, en dépit des tempêtes qui ont affaibli le pays depuis le 25 décembre et fortement mobilisé les services publics. Jusqu'au 4 janvier, le ministère de l'Économie et des Finances abrite une cellule de veille et de communication qui recueille, analyse et diffuse les informations, de France et de l'étranger, sur le changement d'année exceptionnel. Une « tour de guet internationale » réunit une cinquantaine d'experts et de techniciens chargés de contrôler les effets du bogue tout au long du premier week-end de l'an 2000. Dès le début de l'après-midi du 31 décembre, la France métropolitaine est sur le qui-vive, avec le basculement dans l'an 2000 de Wallis-et-Futuna et de la Nouvelle-Calédonie. Elle le restera jusqu'au lendemain à 11 h 00, lorsque Tahiti franchira à son tour la nouvelle année. De surcroît, la tour de guet garde un œil sur le passage à l'an 2000 des grands pays asiatiques, Japon et Chine en tête, classés pays à risque : il sera encore temps de procéder aux derniers ajustements nécessaires au cas où il faudrait prendre des précautions complémentaires pour les systèmes informatiques avant le grand saut de l'Europe continentale à minuit. « Notre rôle consiste, à partir d'une information foisonnante, à arriver à extraire l'information utile nous permettant d'établir les dysfonctionnements réels occasionnés par le bogue de l'an 2000 », indiquent les responsables de la mission pour le passage à l'an 2000.