Dans ce contexte, la question des effets secondaires indésirables de ces thérapies (perturbations biologiques diverses, modification du poids, nausées, douleurs abdominales) va se poser de manière de plus en plus importante. Efficaces, ces traitements pourront-ils être suivis par les malades durant des années, voire des dizaines d'années ? Plusieurs spécialistes redoutent que la chose ne soit pas possible.

Pour le docteur David Ho du Aaron Diamond Center, New York), l'un des meilleurs spécialistes du traitement du sida, il ne fait pas de doute que « si les multithérapies actuellement disponibles ne parviennent pas à éliminer complètement la multiplication du virus du sida, leur efficacité à réduire la mortalité et l'ampleur de la maladie impose de les utiliser sans interruption, jusqu'à ce que des traitements plus puissants et plus supportables soient trouvés ».

Il faut en outre d'ores et déjà compter avec l'émergence de souches virales résistantes aux antirétroviraux. Une étude préliminaire du Aaron Diamond Center de New York, publiée en septembre, a conclu que, dans un groupe d'hommes pour la plupart homosexuels et récemment infectés, une personne sur six était porteuse d'une souche résistante à, au moins, un médicament. Le principal auteur de l'étude, le professeur Daniel Boden, estime que ces recherches doivent conduire à « déterminer quelle est l'ampleur de la résistance ». « Tant que nous n'avons pas trouvé à quel point il y a résistance et ce qui la cause, nous recommandons aux patients infectés qui le peuvent de suivre des multithérapies. »

Cette étude était la première aux États-Unis à mesurer l'ampleur de la résistance du VIH aux médicaments depuis l'apparition des multithérapies. « S'il apparaît que la résistance aux médicaments devient de plus en plus répandue, il nous faudra peut-être changer la stratégie actuelle pour le traitement », souligne le professeur Martin Markowitz, autre signataire de l'étude. « Mais tant que nous n'en savons pas plus, nous ne voulons pas que les patients arrêtent de prendre des médicaments parce que, dans la plupart des cas, ils sont très efficaces. »

Dans une autre étude réalisée sur 141 patients récemment infectés le professeur Susan Little (université de Californie, San Diego) conclut que 2,1 % des patients montraient une très nette résistance à l'un ou l'autre médicament. Pour le docteur Roger Pomerantz (faculté de médecine Jefferson, Philadelphie), « les comportements concernant les relations sexuelles sûres doivent être recommandés à tous les patients, y compris ceux qui sont traités avec une multithérapie, car la suppression partielle du virus est sans doute le facteur principal menant à la transmission de souches résistantes aux médicaments ».

Une pandémie à deux vitesses

Alors que les équipes de recherche des pays industrialisés s'interrogent sur les meilleures stratégies thérapeutiques, les médecins et les malades du sida des pays du tiers-monde sont toujours dans le plus complet dénuement, le coût des multithérapies rendant ces dernières totalement inaccessibles à l'immense majorité de ceux qui en auraient besoin.

Et, si l'on excepte les quelques initiatives d'Onusida visant à mettre en place des programmes de dépistage et de traitement dans les pays les plus touchés par la pandémie, la seule démarche dans ce domaine a été celle de la France. Fin 1997, à Abidjan, le président Jacques Chirac et Bernard Kouchner, alors secrétaire d'État à la Santé, avaient solennellement annoncé, dans le cadre de la 10e Conférence internationale sur le sida en Afrique, la création par la France d'un fonds international de solidarité thérapeutique (FIST) pour les personnes du tiers-monde infectées par le VIH. Le président de la République française avait alors qualifié de « choquant, inacceptable et contraire à la morale et à la plus élémentaire des solidarités [le fait] d'assister à l'instauration d'une épidémie à deux vitesses ».

Deux ans après la conférence d'Abidjan, force est de constater que le Fonds international de solidarité thérapeutique demeure à l'état de projet, aucun pays industrialisé n'étant venu soutenir l'initiative française, tout se passant, précisément, comme si la « plus élémentaire solidarité » ne parvenait à voir le jour, entraînant de ce fait « l'instauration d'une épidémie à deux vitesses ».

Jean-Yves Nau,
journaliste au Monde