Journal de l'année Édition 2000 2000Éd. 2000

Jordanie : la mort du « petit » roi

Précédée par un bouleversement inattendu de l'ordre de succession, la mort du souverain hachémite laisse un pays affaibli, sur le plan intérieur comme extérieur, alors que la situation régionale n'offre aucun espoir d'amélioration rapide.

Le roi Hussein de Jordanie est mort le 7 février, à Amman, des suites d'un cancer des ganglions lymphatiques. Deux jours plus tôt, il était rentré des États-Unis, où il était hospitalisé depuis juillet 1998, après l'échec des dernières tentatives de freiner le développement de sa maladie. (Le souverain avait déjà subi l'ablation d'un rein, en 1992, à la suite d'un premier cancer.)

Le roi Hussein était rentré dans son pays une première fois, le 19 janvier, avant qu'une « rechute » ne le force à regagner, une semaine plus tard, la clinique de Rochester (Minnesota). À la lueur des événements qui l'ont suivi, ce premier retour peut passer pour une initiative précipitée de Hussein pour mettre en ordre les affaires du royaume avant sa fin, qu'il savait proche. Le souverain hachémite avait en effet profité de ce court séjour à Amman pour modifier l'ordre de sa succession.

Une succession bouleversée

La Constitution jordanienne indique que la monarchie est héréditaire et que la succession au trône appartient aux enfants mâles en ligne directe, la couronne revenant au fils aîné du souverain. Ayant été la cible de nombreux attentats au début des années 60 et souhaitant éviter au royaume une trop longue régence au cas où il serait assassiné, Hussein, dont le premier fils, Abdallah, était alors très jeune, avait décidé d'amender la Constitution de façon à pouvoir désigner comme prince héritier son frère cadet, Hassan ; ce dernier accédait à ce titre en avril 1965. C'est donc lui qui assurait la régence durant l'hospitalisation du roi aux États-Unis. Or, Hussein n'aurait pas apprécié la façon dont son frère gérait le royaume en son absence ; il aurait surtout craint que Hassan, une fois devenu roi, ne favorise sa lignée au détriment des princes héréditaires. Aussi, le 25 janvier, le roi avait-il signé un décret rétablissant son fils aîné Abdallah au rang de prince héritier en remplacement de Hassan. Le prince avait aussitôt prêté serment comme régent, tandis que son père regagnait la clinique américaine.

Dans une lettre adressée à son frère pour expliquer sa décision – et qui a été rendue publique –, le roi reprochait à celui-ci, en termes à peine voilés, les ambitions de son entourage. Hassan aurait notamment trop vite nommé son gendre, Nasser Jaoudat, au poste de ministre de l'Information. Cela lui aurait permis de faire main basse sur les organes de presse et de communication du royaume en vue de se forger une popularité qui lui a toujours fait défaut.

Hussein condamnait également les interventions de son frère en vue de remanier la hiérarchie militaire et diplomatique, ainsi que la campagne de dénigrement de la reine Nour, que Hassan aurait orchestrée. Mais, surtout, Hussein lui rappelait son refus de réactiver le Conseil de famille, un organe consultatif de la monarchie hachémite qui jouait un rôle notamment dans la désignation du prince héritier.

Un lourd héritage

Abdallah est devenu roi dès l'annonce du décès de Hussein. Il a aussitôt promis de « préserver l'héritage [de son père] dans l'édification d'une Jordanie forte ». Dans la journée, il s'est rendu au Parlement pour jurer, une main sur le Coran, « de protéger la Constitution et de demeurer fidèle à la nation ». Puis il a signé son premier décret royal nommant prince héritier son demi-frère Hamza, fils aîné de la reine Nour, selon les vœux de son père – né en mars 1980, Hamza poursuit des études militaires en Grande-Bretagne.

Le 8 février, une quarantaine de chefs d'État et de gouvernement ont assisté aux obsèques du roi Hussein, qui a été inhumé dans le cimetière familial du palais royal de Raghdan, à Amman. Le président américain Bill Clinton, pour qui Hussein représentait une pièce maîtresse sur l'échiquier proche-oriental, conduisait une délégation américaine comprenant trois de ses prédécesseurs, George Bush, Jimmy Carter et Gerald Ford. Le Britannique Tony Blair, le Français Jacques Chirac, l'Allemand Gerhard Schröder et même le Russe Boris Eltsine étaient présents. Mais aussi le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, à l'origine du blocage du processus de paix dans lequel le souverain hachémite avait beaucoup investi, et qui figurait au sein d'une importante délégation menée par le président Ezer Weizman. Assistaient également aux obsèques des représentants des monarchies pétrolières, dont les relations avec la Jordanie s'étaient détériorées après que le roi Hussein eut pris position en faveur de l'Irak lors de la guerre du Golfe. La présence la plus surprenante – et donc la plus remarquée – était toutefois celle du président syrien Hafez el-Asad, dont le pays a longtemps été accusé de vouloir déstabiliser le régime pro-occidental de son voisin allié d'Israël : à la surprise générale, Damas, qui devait entériner le jour même, par référendum, le nouveau mandat du président el-Asad, avait décidé de reporter le scrutin et décrété trois jours de deuil. Abdallah hérite, avec la couronne, d'un royaume en grande difficulté. L'économie jordanienne, soumise aux conditions draconiennes du plan d'ajustement structurel imposé par le FMI en 1989, est étouffée par la dette, alors que sa croissance est en fort ralentissement.

Un royaume frappé par la crise

Le chômage frappe près de 30 % de ses habitants, et les revenus, principalement fondés sur l'exportation de main-d'œuvre liée à l'exploitation pétrolière, pâtissent sévèrement de la chute des cours. L'insatisfaction des besoins les plus urgents, que les aides financières occidentales ne suffisent pas à combler, s'est traduite, ces dernières années, par une aggravation des tensions sociales. Ce sont le soutien de l'Irak lors de la guerre du Golfe, en 1991, et la signature d'une paix séparée avec Israël, en 1994, qui ont été les catalyseurs de la crise structurelle de l'économie jordanienne. Exsangue et frappé par l'embargo international, le traditionnel marché irakien s'est tari bien avant la rupture entre les deux pays, en 1995. Et Amman n'a jamais bénéficié des retombées économiques qu'elle avait escompté de sa normalisation avec Jérusalem.