Actualité française

Seillière, patron de choc ou négociateur ?

Dans son combat résolu contre les 35 heures, Ernest-Antoine Seillière s'est battu jusqu'au bout, sillonnant le pays et les unions patronales pour dénoncer cette aberration économique : « Non, tout le monde ne chausse pas du 35. »

« Ernest-Antoine Seillière n'est pas l'homme de ses déclarations. Il est meilleur qu'il n'en a l'air. Être président du patronat dans une démocratie, c'est être vice-Premier ministre : il a un poids considérable. Il faut qu'il continue à jouer ce rôle, qu'il renonce au repli. » Sans doute ce propos ménageant le patron des patrons est-il tactique. Il n'empêche, il est révélateur dans la bouche du secrétaire général de Force ouvrière, Marc Blondel. Car si ce baron, héritier des Wendel – l'une des familles les plus illustres et les plus riches du pays, qui, durant près de trois siècles, forgea la sidérurgie lorraine –, n'est pas un patron de gauche, il ne correspond pas pour autant au profil du « tueur » que réclamait Jean Gandois pour lui succéder à la tête du CNPF, après que ce dernier eut démissionné de la présidence pour s'être « fait avoir » sur la réduction du temps de travail hebdomadaire. Certes, Seillière ne mâche pas ses mots, préfère le parler-vrai et ne cache pas ses sentiments. Mais il est pragmatique et lucide.

Contre le moule des 35 heures, donc, il s'en est pris, maladroitement parfois, au Premier ministre, son ancien camarade de promotion à l'ENA, qu'il retrouve, un temps, au Quai d'Orsay, en affirmant la nécessité de le « déstabiliser ». « Un terme de judo, rien de méchant », se justifie-t-il. Jusqu'au bout, il aura été un dénonciateur féroce des 35 heures, ne comprenant pas qu'une démocratie puisse imposer une décision rejetée par la quasi-totalité des chefs d'entreprise, sans entamer pour autant la détermination du gouvernement. Une fois la loi votée et promulguée, lucide quant à sa capacité d'en empêcher l'application, il s'efforcera d'en atténuer les effets en favorisant les négociations branche par branche et en mettant sur le tapis la flexibilité. Convaincu que l'esprit d'entreprise est la source de toute la richesse nationale, il n'entend pas rester silencieux et cautionner des décisions qu'il juge graves pour le pays. Ainsi, qu'on ne compte pas sur lui, en matière de politique familiale et d'assurance maladie, pour défendre un faux paritarisme où l'État décide de tout en lieu et place des partenaires sociaux.

Un adversaire que l'on dit redoutable

Loin de la caricature d'un patron « de droit divin » un peu perdu dans son siècle que font de lui les Guignols de l'Info, pas vraiment « tueur » comme le souhaitait Gandois, mais pas franchement « souple », Ernest-Antoine Seillière s'affiche à la tête du CNPF comme un adversaire, pragmatique mais redoutable, pour le Premier ministre Lionel Jospin. Tout indique que ce « capitaine » d'industrie, amateur de grands débats publics et de confrontations, devenu, au moment où une gauche plurielle revenait au pouvoir, le patron des patrons, n'est pas un « bleu » de la négociation.

B. M.

Un homme très entouré

Cet héritier, dur en affaires, qui a su avec brio faire fructifier le patrimoine familial après la nationalisation de la sidérurgie par Raymond Barre, est aussi un politique au carnet d'adresses impressionnant. S'il ne connaît pas ou peu Martine Aubry, il n'en va pas de même de Jacques Delors. Il le rencontre en 1969, lorsqu'il entre dans le cabinet de Jacques Chaban-Delmas. C'était l'époque de la « nouvelle société », et, depuis, les deux hommes continuent à s'entretenir régulièrement. De son passage à Sciences po, où, pour la petite histoire, cet étudiant de droite est vice-président du bureau des élèves contrôlé par l'Unef, il se lie d'amitié avec l'avocat Tony Dreyfus, qui lui fera rencontrer, dans les années 70, le chantre de la deuxième gauche, Michel Rocard, que, aujourd'hui, il tutoie.

La montée de l'extrême gauche

Ironie du sort, trente ans après mai 68 et alors qu'une gauche plurielle est installée aux affaires, l'extrême gauche fait une percée spectaculaire à l'occasion des élections régionales. En totalisant, au niveau national, 4,38 % des suffrages, elle fait pour la première fois son entrée dans les conseils régionaux. Avec 20 élus, dont l'éternelle Ariette Laguiller en Île-de-France, Lutte ouvrière (LO) se taille la part du lion face à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), qui n'a que 2 élus.