Journal de l'année Édition 1999 1999Éd. 1999

Ultime grand événement politique de 1998 et « divine surprise » pour le camp modéré, l'explosion en vol du Front national. Chacun sentait bien que, en engrangeant régulièrement, durablement, bourgeoisement, pourrait-on dire, des scores de 15 %, en exerçant çà et là des responsabilités locales à la vertu apéritive et en faisant éclore une jeune génération de responsables aux dents longues, le Front national serait tôt ou tard contraint d'organiser sa propre mutation, le vieux parti protestataire faisant place à une force d'alternance capable de sélectionner ses antipathies, de nouer des alliances avec une partie de la droite modérée et, devenu incontournable, de participer à l'exercice d'un pouvoir néoconservateur. Ce qui n'avait guère été perçu, en revanche, c'étaient l'imminence de la déflagration, la violence du choc et la fureur masochiste s'emparant de chacun des camps. Et pourtant l'extrême droite française ne nous avait-elle pas, tout au long de son histoire tumultueuse et vaine, habitués à vivre constamment au bord du gouffre et à montrer une allergie à l'exercice modéré d'un pouvoir raisonnable presque aussi forte qu'à la domination honnie des partis de gauche ? L'erreur de Bruno Mégret aura sans doute été de sous-estimer la dimension suicidaire d'un engagement extrémiste né du refus du monde tel qu'il est et incapable de s'y soumettre, fût-ce pour le diriger. Les conséquences de l'éclatement du Front national sont, à l'évidence, à la fois massives et complexes. Sans doute la gauche y retrouvera-t-elle un petit électorat protestataire qui pourrait doper les scores de l'ultra-gauche et compliquer à la marge la tâche déjà délicate de Lionel Jospin. L'essentiel est toutefois ailleurs. Si le verdict des urnes confirme celui des cadres, M. Mégret disposera d'une petite formation à demi fréquentable que les droites modérées auront d'autant plus de mal à diaboliser que tout sera entrepris par l'élu vitrollais pour en finir avec le politiquement incorrect du fondateur du Front national. Si, en revanche, et comme il est probable, le verdict des urnes infirmait celui des cadres du mouvement et donnait, sur fond de repli général, l'avantage aux amis de M. Le Pen sur ceux de M. Mégret, la droite réaliserait une excellente opération en se retrouvant confrontée d'un côté à une extrême droite électoralement affaiblie et politiquement sans avenir et, de l'autre, à des élus en déshérence dont le salut passera par une reddition sans gloire auprès de ceux qui voudront bien d'eux. Curieux paradoxe qui ferait de Jean-Marie Le Pen, adversaire intransigeant de tout compromis avec la droite classique, le sauveur inattendu du RPR, qu'il combat, et de Jacques Chirac, qu'il abhorre !

Au seuil de 1999, la droite française revient de loin. Ses fragilités demeurent : organisation anarchique, division de ses chefs, désinvolture intellectuelle. Elle n'en a pas moins vu, en 1998, s'éloigner les deux spectres qui se dressaient entre elle et son avenir : celui de l'extrême droite, qui aura résisté à tout sauf à elle-même, et celui de la guerre des chefs, renvoyée à l'après-chiraquisme. Les élections régionales et départementales ayant moins bouleversé qu'égalisé le rapport de force électoral, l'équilibre est désormais presque parfait entre les deux camps : les luttes de demain promettent d'être chaudes.

Jean-Louis Bourlanges,
député au Parlement européen