Que peut signifier le concept d'« Europe rose » à une époque où les notions mêmes de gauche et de social-démocratie sont pour le moins problématiques, et où la construction de l'Europe en tant que projet politique demeure encore à ses tout débuts ?

Pour répondre à cette question, il convient de se placer à trois niveaux : celui de l'évolution de la social-démocratie européenne, celui du projet européen et celui de la conjoncture économique et politique.

Du point de vue idéologique, force est de constater qu'il s'est produit une nette convergence entre les gauches non communistes du Vieux Continent. Il y eut d'abord l'opposition nette des années 50 et 60 entre la social-démocratie pragmatique et non marxiste des pays du Nord et le socialisme marxisant – du moins dans la rhétorique – de l'Europe du Sud. Au cours des années 80, on vit s'opposer à nouveau les gauches nordiques, qui adoptèrent alors une culture d'opposition (pacifisme, moralisme), et les gauches latines au pouvoir, qui pratiquèrent une politique militaire nettement ancrée à l'Ouest (soutien à l'OTAN et aux missiles américains basés en Europe) et un réalisme économique flirtant parfois avec le cynisme (multiplication des « affaires » en Italie, en Espagne et en France). Depuis le milieu des années 90, le rapprochement entre gauches du Nord et gauches du Sud est patent, comme l'acceptation par tous de l'économie de marché en tant que modèle indépassable ; d'où leur présence simultanée au pouvoir.

Du point de vue européen, la convergence est nette : Tony Blair, appuyé sur ce point par le patronat britannique, a rompu avec l'obsession insulaire et atlantiste des conservateurs, mais, surtout, il est apparu à tous que la préservation d'un « modèle européen » (protection sociale de qualité, maintien des services publics essentiels, lutte contre le chômage, priorité à la formation, modernisation de l'État) constituait un lien plus fort que des débats théoriques d'un autre âge.

Plus encore que les questions de doctrine, la conjoncture économique peut être le véritable ciment d'une « Europe rose ». Les crises de la mondialisation (Asie, Russie, Amérique latine) comme le découplage entre les croissances américaine et européenne ont montré qu'une action économique concertée en Europe pouvait se concevoir en dehors d'une stricte subordination aux états successifs de l'économie dominante américaine. En cette fin des années 90, dans une Union européenne (partiellement) protégée par son embryon de monnaie commune, on commence à dire, à Paris comme à Bonn, à Londres comme à Rome, qu'une relance de la consommation (par des baisses des taux d'intérêt, par des allégements fiscaux, par des programmes sociaux) est : non seulement possible en Europe, mais constitue la clef même du succès. Un développement autonome, voire keynésien, de l'économie européenne, voilà ce qui peut rapprocher socialistes et sociaux-démocrates de Helsinki à Lisbonne. En attendant qu'ils s'opposent sur d'autres échéances et sur d'autres perspectives.

J. C.

La gauche au pouvoir à l'automne 1998

Allemagne : sociaux-démocrates et Verts

Autriche : sociaux-démocrates et parti conservateur

Belgique : socialistes et démocrates-chrétiens

Danemark : sociaux-démocrates et petits partis

Finlande : sociaux-démocrates et petits partis

France : socialistes, communistes, radicaux et Verts

Grèce : socialistes Grande-Bretagne : travaillistes

Italie : démocrates de gauche et petits partis du centre droit à l'extrême gauche

Luxembourg : sociaux-chrétiens et socialistes

Pays-Bas : sociaux-démocrates et petits partis

Portugal : socialistes et petits partis

Suède : sociaux-démocrates et petits partis