Journal de l'année Édition 1999 1999Éd. 1999

Un budget en demi-teinte

Portée par une prévision de forte croissance, la loi de finances pour 1999 a été votée le 18 novembre à l'Assemblée nationale, sans grand enthousiasme, après cinq semaines d'un débat animé qui n'a eu que peu d'impact sur la version finale. La copie se voulait consensuelle, mais elle fut vivement critiquée par la droite comme par certaines composantes de la « majorité plurielle », qui l'approuvèrent plus par discipline que par conviction.

Sachons être optimiste tout en restant prudent. Tel paraît être le principe auquel s'est tenu le gouvernement pour élaborer son budget 1999, voté solennellement le 18 novembre par l'Assemblée nationale. Tablant sur une croissance de 2,7 %, le projet de loi de finances présenté par Dominique Strauss-Kahn ne se laissera pour autant pas aller à de trop grandes largesses budgétaires. Pour cet acte majeur de la vie parlementaire, le gouvernement de la « gauche plurielle » a donc voulu jouer la carte de la prudence et du consensus ; mais à vouloir contenter le plus grand nombre, ce budget en demi-teinte en mécontentera beaucoup, se heurtant à de vives oppositions à droite comme à gauche de l'hémicycle, et malmenant ce principe de concertation cher à M. Jospin. Pourtant animé, le débat budgétaire entamé le 13 octobre à l'Assemblée ne fera pas fléchir le gouvernement, qui ne concède que des modifications minimes à son projet de budget. Entre une opposition plus combative car revigorée par sa victoire provisoire sur le PACS et ses alliés de la » majorité plurielle » soucieux d'affirmer leur ancrage à gauche à l'approche des européennes, le compromis était certes difficile et la marge de manœuvre étroite pour un gouvernement dont la priorité affichée est de ne pas laisser filer un déficit budgétaire fixé, à 237,329 milliards de francs. Accusé d'avoir surestimé la croissance en 1999, le ministre de l'Économie et des Finances affirme fonder ces prévisions sur le « réalisme », et le « collectif » budgétaire de fin d'année semblait lui donner raison, la bonne tenue de la croissance en 1998 ayant permis de réviser à la hausse les recettes fiscales de l'année – 11 milliards de francs supplémentaires qui abaisseront le déficit budgétaire initialement annoncé. Mais si la tendance est encourageante, rien n'assure qu'elle se maintiendra contestent les communistes, dont le président du groupe parlementaire, Alain Bocquet, affirmait le 9 septembre que le budget n'est pas à la hauteur des menaces de plus en plus tangibles qui pèsent sur la croissance ». Devant les commissions des finances de l'Assemblée nationale, M. Bocquet reprochait « le manque d'ambition sociale » du projet de budget, qu'il soupçonnait de « donner des gages à l'ultralibéralisme » malgré certaines mesures comme le relèvement de l'impôt sur la fortune. Les critiques sont bien sûr, diamétralement opposées à droite, où l'on dénonce les tentations étatistes d'un texte qui bride le marché par une réduction insuffisante de la pression fiscale et l'augmentation de la dépense publique ; bref, la vague de la croissance sur laquelle s'est laissé porter le gouvernement risque fort de se briser sur son budget. Quant à la modification d'une taxe professionnel le considérée partout le monde, ou presque, comme un frein à l'emploi, elle a été plutôt mal perçue par les élus locaux, qui voient ainsi fondre une partie des ressources des collectivités territoriales, alors que le gouvernement y voit un gage de sa politique de la main tendue aux entreprises.

Sujet de controverse permanent, la question des impôts a donné lieu à une course aux amendements entre les composantes de la majorité plurielle et l'opposition, une épreuve dont les alliés du gouvernement ne sortiront pas forcément vainqueurs. Pressé par sa majorité d'engager des baisses d'impôt plus conséquentes pour les ménages, notamment à travers la TVA, de mettre en œuvre une réforme de la fiscalité du patrimoine plus audacieuse, ou encore d'adopter la réforme de la fiscalité écologique pénalisant les pollueurs, le gouvernement ne répondra que partiellement à ses attentes. Alors que les députés de la majorité sont presque systématiquement remis au pas quand ils s'opposent trop ouvertement à M. Jospin, ce dernier semble plus soucieux de ne pas s'attirer les foudres de l'opposition, et sera soupçonné pour cela de suivre une « stratégie présidentielle ». C'est ainsi que sous les pressions de la droite, il fait machine arrière sur sa réforme fiscale concernant l'assurance vie. Partant du constat généralement admis que l'exonération quasi totale des droits de succession a transformé l'assurance vie en un refuge pour certaines très grosses fortunes désireuses d'échapper à l'impôt, Bercy avait cru pouvoir soumettre ces produits d'épargne à la taxation, qui plus est avec rétroactivité. Devant le tollé suscité dans l'opposition sur le caractère rétroactif de ce dispositif, il se contentera d'une demi-mesure : l'exonération des droits de succession est maintenue quand les sommes léguées n'excèdent pas un million de francs, la taxation étant fixée, au-delà, à un taux forfaitaire de 20 %. Son effet en sera limité, puisqu'elle s'appliquera seulement aux nouveaux contrats et non aux contrats en cours, une concession saluée comme une « victoire » par le secrétaire général du RPR Nicolas Sarkozy, le plus farouche adversaire de ce dispositif. Cette volte-face gouvernementale, qui prétend sacrifier à l'exigence de consensus, n'a fait qu'en trahir les limites : sans s'attirer l'indulgence de l'opposition, le budget a quelque peu malmené la cohésion de la gauche plurielle, qui n'avait d'autre choix que de le voter. Et les chiffres publiés par l'Insee quelques jours après, faisant redouter une croissance quasi nulle l'an prochain, ne sont pas de très bon augure...