Journal de l'année Édition 1999 1999Éd. 1999

Papon : un procès fleuve

Le procès du premier haut fonctionnaire de Vichy a être inculpé pour « complicité de crime contre l'humanité » s'est achevé le 2 avril 1998. Maurice Papon, quatre-vingt-sept ans, ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde, a été condamné à dix ans de réclusion criminelle. La cour n'a pas retenu la complicité d'assassinat.

Six mois, c'est le temps qu'il aura fallu à la cour d'assises de Bordeaux pour mener à son terme le procès de Maurice Papon. Une durée quatre fois supérieure à celles des procès Barbie en 1987 et Touvier en 1994. Au deuxième jour, la cour a d'ailleurs ordonné la mise en liberté sous contrôle judiciaire de l'accusé. Raison invoquée : « l'importance de la durée prévisible du procès ». Sage précaution, car deux mois passeront avant que le premier fait constitutif de l'accusation soit abordé. Quatre mois seront ensuite nécessaires pour que soient évoqués les convois qui, de juillet 1942 à mai 1944, partiront de Bordeaux pour l'enfer d'Auschwitz, via Mérignac et Drancy.

Au total, donc, six mois de quasi-enlisement au cours desquels alterneront d'interminables auditions de témoins ; les exposés fleuves d'historiens de la France de Vichy ; le long et patient travail d'élucidation du président Jean-Louis Castagnède ; les dizaines de questions à l'accusé, trop souvent redondantes, des 22 avocats des parties civiles ; les doctes et froides réponses de ce dernier, sujet à d'importuns « malaises bronchiques » ; les témoignages, ô combien poignants, des survivants des convois. Sans oublier l'invraisemblable succession de « coups de théâtre », telle la découverte, fin janvier, par Me Arno Klarsfeld, un avocat des parties civiles, d'une parenté entre Jean-Louis Castagnède et trois personnes déportées dans le convoi de décembre 1943 – le dernier événement inopiné ayant été le décès, sept jours avant le verdict de l'épouse de l'accusé.

Mais un quasi-enlisement n'est pas tout à fait un enlisement. Le procès a cheminé à tout petits pas, s'égarant souvent dans le sable mouvant de fastidieuses audiences, mais il cheminait toujours. Avec, au bout, le verdict tant attendu. Quelle aide exacte Maurice Papon a-t-il apportée aux autorités allemandes ? Si complicité il y eut, Maurice Papon était-il au courant de la « solution finale » ? – un élément capital qui fonderait la complicité d'assassinat. C'est à ces questions que les jurés ont enfin répondu, le 2 avril 1998 au matin. Après dix-neuf heures de délibéré.

Mai 1942

Maurice Papon fait son entrée à la préfecture de Bordeaux. Le jeune homme – il n'a que trente-deux ans – hérite d'une dizaine de services, dont le « bureau des questions juives ». Depuis le 3 octobre 1940, date d'entrée en vigueur en France d'une législation antisémite adoptée sans aucun diktat allemand, c'est cette administration qui est chargée d'inventorier les biens « aryanisés », c'est-à-dire confisqués, des Israélites. À Bordeaux, une employée de préfecture est affectée à temps complet à la mise à jour du « fichier des Juifs ». Il servira de base d'information pour les rafles à venir. En 1942, quatre vagues d'arrestations ont lieu, ordonnées par les Allemands, exécutées par les policiers français. Des centaines de personnes sont embarquées dans les convois pour Drancy. Lors du procès, on exhibera l'ordre, signé de la main de Maurice Papon et daté du 28 août, « de requérir le nombre de gendarmes nécessaire pour escorter le convoi israélite ». Pourquoi ce document ? « Pour régulariser une imputation de dépense », répondra l'ancien haut fonctionnaire.

D'autres déportations suivront, mais, dès 1943, la préfecture n'est plus avertie des rafles qui se succèdent jusqu'en mai 1944. Du moins, il n'existe aucune preuve de sa participation. En janvier 1944, la préfecture réagit enfin : elle proteste auprès des Allemands et rédige un compte rendu détaillé d'une opération de convoyage. À qui est destiné le document ? « À l'histoire », répond Maurice Papon. Il est vrai que l'on parle déjà du débarquement... À la Libération, Maurice Papon n'est pas inquiété. Mieux : une longue carrière de haut fonctionnaire, effectuée sous l'aile protectrice des gaullistes, l'attend.