Journal de l'année Édition 1999 1999Éd. 1999

Asie du Sud-Est : une crise monétaire, financière et économique sans fin

Le 2 juillet 1997, la dévaluation de la monnaie thaïlandaise, le baht, faisait éclater dans quelques pays de l'Asie du Sud-Est (Thaïlande, Philippines, Malaisie, Indonésie et Corée) une crise non seulement monétaire, mais aussi financière et économique. Sur le moment, elle surprit par son imprévisibilité et sa soudaineté. Plus d'un an après, la crise apparaît loin d'être résorbée, tant les économies de la zone sont déstabilisées ; en outre, elle s'est étendue au Japon et à la Chine. Quant aux pays européens et aux États-Unis, ils semblent en avoir limité les conséquences.

Pendant les dernières décennies, l'Asie du Sud-Est était citée comme un modèle de réussite en raison de rythmes de croissance du produit national annuel supérieurs à ceux des économies développées. À cet égard, la Banque mondiale n'avait pas hésite à intituler son rapport de l'année 1992 « Le miracle de l'Asie du Sud-Est : croissance économique et politique publique » et à qualifier les pays de la zone « hautement performants ».

La Thaïlande, une réussite exemplaire

Grâce aux atouts dont elle disposait (main-d'œuvre abondante, épargne domestique élevée, faible inflation, etc.), la Thaïlande a été classée en tête avec ses records établis entre 1985 et 1995 : croissance très forte (9,8 % par an) grâce à un taux d'investissement très élevé (39,3 % du produit intérieur brut). Comme pour les autres pays de la zone, la réussite procède d'un cercle vertueux : elle repose en effet sur le développement exceptionnel des exportations de produits manufacturés (électroniques pour l'essentiel). Avec un commerce extérieur excédentaire, les capitaux affluaient en quantités telles que l'expansion ultérieure des industries exportatrices s'en trouvait bien entretenue ; récupérant rapidement leur mise initiale de fonds, elles réinvestissaient ces capitaux dans des activités estimées rentables de suite, sans se soucier des risques qui pouvaient éventuellement survenir dans un avenir plus ou moins proche. Banques et entreprises ne voyaient pas pourquoi l'expansion s'arrêterait.

Sous l'apparence d'une réussite brillante, l'économie thaïlandaise, comme celle des autres pays de la région, n'en cachait pas moins une fragilité génératrice de risques qui allait les mettre en difficulté. L'origine de cette fragilité doit être attribuée à trois sortes d'excès, liés entre eux, à savoir le surinvestissement, la surcapacité et le surendettement des entreprises. En premier lieu, depuis le début des années 90, le taux d'investissement en Thaïlande n'a cessé d'augmenter pour atteindre, à la fin de 1995, un chiffre de l'ordre de 40 % par an. Compte tenu de ce chiffre inégalé dans le monde, les capacités de production ont progressé à leur tour à un taux proche de 10 % par an, ce qui signifie par ailleurs que des entreprises sont placées en situation de surcapacité. Quant au surendettement, il résulte d'un développement incontrôlé et excessif du crédit aux entreprises. Entre la libéralisation internationale des mouvements de capitaux et un régime de fixité des taux de change des monnaies des pays de la région par rapport au dollar, les entreprises locales préféraient financer leurs investissements par des emprunts en dollars en raison d'un risque de change nul et de taux d'intérêt extérieurs inférieurs à ceux du marché bancaire local. Avec un accès aussi facile au marché international des capitaux, les firmes ont choisi d'investir dans des secteurs d'activité (comme par exemple l'immobilier) où pouvaient être escomptées des rentrées immédiates et importantes de recettes, ce qui permettait de récupérer rapidement et totalement la mise initiale de fonds : l'éventualité de pertes étant ainsi écartée, ces firmes ne se préoccupaient pas trop des risques inhérents à ce type d'opérations. Ce recours systématique au crédit a entraîné une très forte progression de l'endettement intérieur, l'accumulation chez les entreprises et les banques d'une dette extérieure à court terme excessive et dangereuse pour l'économie (de 82 milliards de dollars à la fin de 1993 à 152 milliards à la fin de 1996 pour les 5 pays) et enfin un gonflement explosif des actifs immobiliers et boursiers (la capitalisation boursière est passée, de 1991 à 1996, de 113 % à 315 % du PIB en Malaisie).

Les dégringolades monétaires

Le 2 juillet 1997, la dévaluation de la monnaie thaïlandaise (le baht) devait révéler brutalement la gravité d'une crise latente depuis 1996. Depuis lors, le ralentissement de l'activité mondiale et la remontée du dollar ont entraîné la baisse des recettes d'exportation. Privées ainsi de moyens financiers, les entreprises vont emprunter en monnaies étrangères ce dont elles avaient besoin pour leur expansion, sans se préoccuper de leur capacité à rembourser, normalement et durablement, les sommes empruntées. Il en est résulté un endettement extérieur croissant. Ce développement incontrôlé du crédit a favorisé en outre la spéculation immobilière à hauteur de 100 milliards de francs : les entreprises immobilières construisent bureaux et logements en pensant qu'ils trouveront facilement des preneurs.