Tendu par Bruno Mégret, le piège du Front national a parfaitement fonctionné. En offrant sans condition à la droite un « soutien sans participation » et en s'efforçant, pendant la campagne, de présenter le visage d'un parti en quête de respectabilité, il a su la casser, en prendre une partie en otage et briser un tabou qui voulait qu'aucun accord ne soit possible entre la droite parlementaire et le FN. Les dégâts pour l'actuelle opposition sont considérables et durables. Certes, cette « dédiabolisation » du FN n'est le fait que d'une partie de l'opposition. C'est vrai, ces accords ponctuels sont dénoncés par une large majorité de l'électorat RPR-UDF, et les sondages le démontrent. Il n'empêche que l'attitude de ces barons locaux, qui n'ont pas hésité à désobéir aux consignes des états-majors parisiens de leur parti et à l'appel à la raison du président de la République, est révélatrice de la profondeur de la crise d'identité que traverse la droite républicaine depuis l'échec de la dissolution en juin 1997. En mal d'identité, en panne de stratégie et ne présentant pas, à l'heure actuelle, aux yeux de l'opinion, une alternative crédible à la politique suivie par le gouvernement de Lionel Jospin, une partie de la droite, déboussolée, a tenté, par opportunisme, de sauver les meubles en s'alliant avec une extrême droite qui, à l'entendre, ne serait plus, aujourd'hui, si infréquentable. Persuadée que, avec un FN raflant 15 % des suffrages, elle est condamnée à une longue, très longue cure d'opposition, certains se sont demandé pourquoi ils ne s'accommoderaient pas d'un parti extrémiste qui peut servir de marchepied pour retrouver, ou plus simplement, conserver le pouvoir ? Une démarche dangereuse, qui oblige RPR et UDF à une nécessaire recomposition – certains parlent de refondation –, afin que l'actuelle opposition retrouve sa place légitime dans le jeu politique en clarifiant sa stratégie.

Bernard Mazières

Les résultats de la consultation

La gauche plurielle

Sans retrouver le résultat des législatives de 1997, elle progresse de 11,3 points par rapport à 1992. Le dynamisme des luttes d'union a été payant, même si ces élections confirment la situation électorale minoritaire de la gauche (40 % des suffrages exprimés, extrême gauche comprise). Avec près de 400 sièges, le PS est la première formation politique française des conseils régionaux. Il est en position dominante au sein de la gauche dans toutes les régions. Mais l'union et la participation au gouvernement profitent aussi aux communistes et aux Verts et leur permettent d'obtenir des élus dans des régions où, sous leur propre bannière, ils n'auraient eu aucune chance d'en avoir.

La droite RPR-UDF

Si la droite républicaine est victime de listes dissidentes, notamment contre Édouard Balladur en Île-de-France et contre François Léotard en PACA, elle résiste bien au choc. Avec 36 % des suffrages, si l'on inclut les divers droite, elle ne connaît qu'un recul limité (– 2,6 % par rapport à 1992) et se stabilise par rapport aux législatives de 1997. Mais cette stabilisation est insuffisante pour éviter de se faire devancer en sièges par la gauche dans bon nombre de Régions, notamment des Régions phares, comme celle d'Île-de-France, détenue par la droite depuis sa création.

Le Front national

Scrutin à la proportionnelle, sans véritable enjeu national, ces élections permettent au parti de Jean-Marie Le Pen de conforter ses positions dans ses zones d'influence traditionnelles (est et sud-est de la France). Avec 15,3 % des suffrages, il progresse de 1,5 % par rapport à 1992 et retrouve ses scores de la présidentielle de 1995 et des législatives de 1997. En progression de 54 sièges par rapport à la précédente consultation (275 élus, contre 239), il améliore ses résultats en milieu ouvrier, notamment dans les cantons ruraux, et recule dans les grandes agglomérations et les couches moyennes de la société. Plus que jamais, il est en position d'arbitre.

Les petites listes

Si l'extrême gauche fait une percée spectaculaire, les écologistes autres que les Verts sont les grands vaincus de ce scrutin (2,8 % des suffrages), ainsi que les communistes orthodoxes. Quant au mouvement Chasse-Pêche-Nature-Tradition (2,7 %), il confirme son influence dans un électoral de droite, populaire et rural.