L'Afrique du Sud

Depuis dix ans, le « pays de l'arc-en-ciel » vit son histoire en accéléré. 1990 : libération de Nelson Mandela après vingt-sept années de prison. 1991 : abolition du Population Registration Act, une loi raciste qui classifiait les Sud-Africains en fonction de leurs origines ethniques. 1992 : référendum au sein de la communauté blanche qui abolit l'apartheid. 1994 : premières élections multiraciales du pays et élection de Nelson Mandela comme président de la République. 1996 : adoption d'une Constitution, modèle de démocratie et de respect des droits de l'homme, prônant la citoyenneté et l'égalité de tous. 1999 : nouvelles élections générales ; l'ère de l'après-Mandela (80 ans en 1998) commence.

Oui, la « nouvelle Afrique du Sud » est bien née. Mais, aujourd'hui, où en est-elle ? L'ambitieux programme « de reconstruction et de développement » du président Mandela a-t-il été réalisé ? La concorde est-elle rétablie entre toutes les communautés de cette immense nation de plus de un million de km2, vaste mosaïque humaine de 42 millions d'habitants où les Noirs, dans leurs différentes ethnies (Zoulous, Xhosas, Sothos et Twsanas), représentent 74 % de la population, les Blancs (anglophones et Afrikaners), 14 %, les métis, 9 %, et les Asiatiques, 3 % ?

Rien n'est facile dans un pays où l'illettrisme touche 65 % de la population, le chômage, un habitant sur trois, et la pauvreté, deux Sud-Africains sur trois ; où l'adduction d'eau potable et l'électrification n'en sont qu'à leurs balbutiements ; où la misère et l'afflux d'immigrés clandestins (8 millions depuis 1994) grossissent jour après jour la taille des « townships », ces bidonvilles version Afrique du Sud ; où, fatalement, la criminalité atteint des taux record : un meurtre chaque demi-heure, 12 cambriolages par heure, particulièrement à Johannesburg, où, après 17 h, heure de fermeture des bureaux, la sécurité n'est plus établie. C'est surtout un pays où les tensions raciales et ethniques sont toujours la règle. Le « melting-pot » façon USA n'est pas encore à l'ordre du jour. Nous en sommes toujours au « patchwork » : chaque communauté a ses règles de vie, ses valeurs, ses traditions, quand ce n'est pas sa langue.

Il y a d'abord la frustration des Blancs, qui vivent le passage à la démocratie comme une dépossession de leur pouvoir. Les plus extrémistes demandent la création d'un « Volkstaat » : un État indépendant. Il y a ensuite le conflit séculaire entre les Zoulous (8 millions de personnes) et les Xhosas (6 millions), qui a déjà fait des centaines de morts ; il se traduit politiquement par l'opposition du parti de l'Inkatha (Zoulous) à l'ANC, le parti au pouvoir où les Xhosas sont majoritaires. Les Zoulous menacent de faire sécession, et, en 1994, n'acceptent de participer aux élections générales qu'à la dernière minute. Il y a enfin le malaise des métis, traditionnellement rejetés par les deux autres camps précédents.

Mais le « miracle » sud-africain vient de la capacité de cette jeune nation à désamorcer la poudrière à chaque fois qu'elle menace d'exploser. « L'Afrique du Sud n'est pas aussi vulnérable qu'il n'y paraît », titrait le journal le Monde, soulignant les bons résultats de la nouvelle nation démocratique africaine au moment où « la crise asiatique », cette tempête financière venue d'Extrême-Orient, mettait à mal les économies des pays en voie de développement. Même si les promesses faites pendant la campagne de 1994 n'ont pas – et de loin – été tenues, le gouvernement peut se vanter d'avoir ouvert 500 hôpitaux, créé 400 000 logements sociaux (au lieu de un million) et fait passer le taux d'accès de la population à l'électricité de 40 % à 50 %. La croissance est encore faible (2 %), mais l'inflation recule (5 %, niveau le plus bas depuis vingt ans). Les touristes plébiscitent un pays qui, avec ses grands parcs nationaux, ses plages immenses et ses paysages somptueux, a tout pour les attirer en masse. Ils n'étaient que 700 000 à s'y rendre en 1994. Trois ans plus tard, il y en avait 1,4 million : une progression spectaculaire, même si elle reste freinée cependant par un manque d'infrastructures.