Jean-Paul II et la Shoah

Pour préparer le « jubilé de l'an 2000 », le pape Jean-Paul II affirme, dès 1994, la nécessité d'une « purification des mémoires ». Cette « purification » a donné lieu, depuis lors, à des déclarations portant sur les croisades, les guerres de Religion, le procès de Galilée, l'Inquisition, les rapports avec le judaïsme et, en mars 1998, à un document pontifical sur la Shoah.

Jean-Paul II est particulièrement sensible au drame de la Shoah. D'abord parce qu'il a vécu sa jeunesse à Cracovie, un des centres d'une vie juive polonaise maintenant disparue. Devenu prêtre, il a été le témoin de la traque nazie et s'est engagé dans la Résistance ; nul doute qu'une méditation sur la « souffrance juive » et, au-delà, sur ce que les chrétiens appellent le « mystère d'Israël », fit partie de sa spiritualité. Ensuite, profondément en accord avec le changement d'attitude à l'égard des juifs amorcé avec le concile Vatican II, Jean-Paul II estime qu'il doit le prolonger.

L'idée même d'un document du magistère catholique sur la Shoah avait été émise dès le 1er septembre 1987, quand Jean-Paul II avait reçu les dirigeants du Comité international juif pour les consultations interreligieuses (IJCIC). Il aura fallu un peu plus de dix ans pour qu'elle soit concrétisée. Ce document était donc très attendu par les communautés juives du monde entier.

Une réflexion sur la Shoah

Publié avec une introduction de Jean-Paul II datée du 12 mars 1998, le document « Nous nous souvenons : une réflexion sur la Shoah » est rédigé, à la demande du pape, par la Commission pontificale pour les relations avec le judaïsme. Il est signé par le cardinal australien E. Cassidy, son président, et par Mgr P. Duprey, secrétaire. Il vaut la peine d'en indiquer l'essentiel.

L'introduction du pape relie explicitement le document au prochain jubilé dont la « joie [est] basée sur le pardon des péchés et la réconciliation avec Dieu et nos voisins ». Les catholiques doivent donc « purifier leur cœur par le biais du repentir des erreurs et des infidélités passées » et « effectuer un examen d'eux-mêmes sur la responsabilité qu'ils ont eux aussi dans les démons de notre époque ». Il faut permettre « à la mémoire de jouer son nécessaire rôle dans le processus de construction d'un avenir dans lequel l'iniquité inqualifiable de la Shoah ne puisse jamais se répéter ».

La première partie traite de « la Shoah et (du) devoir de mémoire ». Elle définit la Shoah comme « une innommable tragédie qui ne pourra jamais être oubliée » et ne peut laisser personne indifférent, l'Église catholique encore moins que n'importe qui, « en raison de ses liens étroits de parenté spirituelle avec le peuple juif et son souvenir des injustices du passé ».

La deuxième partie parle de « ce dont nous devons nous souvenir ». Elle insiste sur les questions que pose « l'ampleur du crime ». Plus précisément, elle affirme : le fait que la Shoah ait eu lieu en Europe, « c'est-à-dire dans des pays de longue tradition chrétienne », pose la question de « la relation entre la persécution nazie et les attitudes des chrétiens envers les juifs à travers les siècles ».

« Les relations entre juifs et chrétiens » : tel est, précisément, le titre de la troisième partie. La Commission reconnaît que « malgré l'enseignement chrétien de l'amour pour tous », la « mentalité prédominante » dans la société de chrétienté a « pénalisé les minorités ». Un « antijudaïsme » a conduit à « une discrimination généralisée » dont les conséquences ont été des expulsions, des conversions forcées, des pillages et des massacres en temps de crise. Au xixe siècle, un « nationalisme faux et exacerbé » a répandu en Europe un antijudaïsme « plus sociologique que religieux » et, au xxe siècle, le national-socialisme a utilisé des théories qui « niaient l'unité de la race humaine ». L'Église catholique allemande « répliqua en condamnant le racisme » (suivent plusieurs exemples) et le pape Pie XI fustigea « le racisme nazi » dans son encyclique Mit brennender Sorge en 1937, déclarant l'année suivante : « Spirituellement, nous sommes tous des sémites. »