Par un hasard de calendrier, il se retrouvait, au même moment, interprète d'Une bête sur la lune de l'Américain Kalinovski, sous la férule d'Irina Brook. Fille de Peter Brook, cette dernière s'est révélée, à l'occasion de cette première mise en scène en France, présentée à la MC 93 de Bobigny, une stupéfiante directrice d'acteurs au fil d'un spectacle tout en taches discrètes, en nuances subtiles pour évoquer la construction – ou plutôt la reconstruction – de deux êtres, sur fond de génocide arménien.

Cette incontestable réussite l'a menée jusqu'au Festival d'Avignon, où elle a été invitée à mettre en scène Beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare avec les comédiens du Théâtre du Soleil. En regard du choc provoqué un peu plus tôt par la Bête sur la lune, le spectacle a laissé le public sur sa faim. Il n'en était pas moins porté par une fraîcheur allègre, une maîtrise vraie du signe et du mouvement, constituant l'un des moments heureux d'un festival en demi-teinte.

Le rendez-vous des festivals

De fait, considéré par définition comme l'un des temps forts de toute saison théâtrale, le Festival d'Avignon, avec ses 35 spectacles, ses 285 représentations, ses débats, ses expositions et ses quelque 100 000 spectateurs en « in » (il y en a eu quatre fois plus en « off »), aura en effet laissé mi-chèvre, mi-chou. Souffrant d'un manque de lignes de force, il s'est réduit à une simple juxtaposition de propositions, s'inscrivant plus ou moins dans ce qui fait l'ensemble de la programmation théâtrale en France, notamment en ce qui concerne la découverte d'écritures et de spectacles étrangers.

Du côté des « étrangers », le Festival aura permis essentiellement, en dehors du choc provoqué par le déroutant Giulio Cesare de l'Italien Castelluci, de découvrir des spectacles anciens – le Hamlet de glace, de feu et de visions fantasques du Lituanien Nekrossius – ou de retrouver des metteurs en scène déjà vus en France – le Russe Fokine, le Britannique Donnellan avec un Cid joyeusement iconoclaste. Mais c'est ailleurs qu'il aura fallu être pour applaudir les « Jeunes Turcs » du théâtre allemand. À Strasbourg, où le TNS a reçu Franck Castorf et la Volksbùhne de Berlin avec Des Teufels General de Zuck-mayer. À Paris, où le Théâtre de la Cité internationale a accueilli Thomas Ostermeyer et son Mann ist Mann de Brecht. Paradoxalement, si ce dernier était présent en plein Festival d'automne, il n'était pas invité dans ce cadre. En fait, créé en 1972 par Michel Guy pour ouvrir la France culturelle aux autres cultures du monde, le Festival d'automne s'en est tenu cette année à un programme placé plus que jamais sous le signe de la fidélité aux metteurs en scène prestigieux : Robert Lepage, Luc Bondy, Peter Sellars, Klaus-Michaël Grüber, Patrice Chéreau – ces deux derniers animaient des ateliers avec les élèves du Conservatoire de Paris. Grüber a présenté en outre une Iphigénie en Tauride à la MC 93 de Bobigny. Installé dans une scénographie due à Gilles Aillaud (une île avec sable, figuier, pins nains et mer aux vaguelettes s'échouant sur le rivage...), ce spectacle aura été l'un des plus justes, des plus purs applaudis depuis longtemps, prenant l'allure d'une véritable leçon de théâtre.

Révélations d'auteurs

Du côté des écritures, on doit au Festival d'Avignon la confirmation de Xavier Durringer mettant lui-même en scène Surfeurs et la révélation de Véronique Olmi avec Chaos debout – deux auteurs qui se rejoignent dans la même volonté de témoignage sur le monde avec une noirceur oppressante. Le premier, explorant des voies trop peu suivies par l'écriture théâtrale en France, aborde avec une violence crue la question du politique et de sa morale, sur fond d'élections et d'affaires, de crise et de chômage, de population marginalisée ; la seconde se veut plus universelle, à travers une histoire d'amour et de guerre – ou plutôt de l'effet de la guerre sur les civils qui ne la subissent pas directement. L'écriture est plus fine, en apparence plus anodine, mais, magnifiquement mise en scène par Jacques Lassalle avec le concours d'une distribution étonnamment homogène (Anouk Grinberg, Michèle Gleizer, Pascal Elso, Dimitri Rataud), elle ramène au plus profond des êtres pris aux pièges de l'histoire et de la relation à l'autre. Deux autres pièces – le Passage et Point à la ligne, créées respectivement par Brigitte Jaques au Théâtre de la Ville et par Philippe Adrien au Vieux-Colombier – font assurément de Véronique Olmi l'« auteur de l'année » parmi la poignée qu'il aura été donné de découvrir, le plus souvent étrangers : le Haïtien Jean-René Lemoine avec l'Ode à Scarlett O'Hara, l'Irlandais Sébastian Barry avec le Régisseur de la chrétienté, mis en scène par Stuart Seide, l'Espagnol Javier Toméo avec Dialogue en ré mineur, proposé par Ariel Garcia Valdès, l'Autrichien Werner Schwab mis à l'honneur par Stanislas Nordey en quatre pièces réunies en un seul ensemble à Saint-Denis sous le titre générique de Comédies féroces : Excédent de poids, insignifiant : amorphe, les Présidentes, Escalade ordinaire, Enfin mort, plus de souffle.