Ce thème de la prison peut s'inspirer de la réalité : Dominique Sigaud, dans Blue Moon, fait revivre un Noir condamné à mort pour viol au Texas. Et, de la reconstruction littéraire on passe à la violence du témoignage à peine réécrit avec, par exemple, la Cité du précipice de Sadek Aïssat, où le narrateur ne parvient à crier que devant le fusil mitrailleur qui va l'abattre – un hurlement que personne n'entendra. Ici, le monde-prison s'est refermé sur sa victime.

Un monde carcéral

Les images violentes de l'information influencent de nombreuses œuvres romanesques qui oscillent entre la tentative de dire la parole emprisonnée dans le corps ou de décrire l'être incapable d'échapper à un univers vécu comme carcéral. Ainsi dans le roman de Catherine Lépront, l'Affaire du muséum, nous suivons le récit d'un gardien, pris au piège des intrigues criminelles qui s'ourdissent dans les couloirs et les salles d'exposition. Le livre devient une parabole de l'Algérie – ce pays proche où se joue un drame si terrible qu'il obscurcit la compréhension. Une lecture que pourraient compléter des œuvres écrites par des Algériens : À l'ombre de soi de Karim Sarroub, où l'on vit pas à pas le désarroi d'une sortie de prison pour découvrir que l'on reste « enfermé ». Citons encore les Agneaux du Seigneur de Yasmina Khadia, suggérant l'implacable engrenage du crime collectif.

Le livre ambitieux de Janine Matillon, la Dernière Migration, réunit les deux enfermements : l'intérieur et l'extérieur – son héros, saisi par la folie, s'enferme dans un souterrain tandis que déferle la longue marche des victimes de la faim dans le monde. Fantasmatique serait plutôt le livre de Marie Darrieussecq, Naissance des fantômes, où l'héroïne, ne voyant pas son mari rentrer, est prise au piège de l'angoisse face à l'absence incompréhensible.

La transposition onirique

Une des façons de transposer cette agression du monde, c'est soit de bâtir un univers proche mais imaginaire, soit de suggérer par-delà la réalité le bruissement d'une autre dimension que nous ne pouvons qu'effleurer.

Rezvani (la Cite Potemkine, ou les géométries de Dieu) imagine un Tchernobyl définitif et, dans cet holocauste, fait intervenir une dimension métaphysique. Antoine Volodine (Vue sur l'ossuaire) bâtit avec délectation le labyrinthe de son univers cauchemardesque. Cet objet, romanesque par ses références aux méfaits sanglants des polices secrètes, a une certaine force, mais combien plus de charmes possède le petit livre : Invisible, de Nicolas Kieffer, où un homme mutique rencontre une petite fille, lui fait entrapercevoir l'invisible, après quoi la rencontre s'évapore, à la lisière de la page, le mystère fait signe qui plane sur un univers conventionnel de banlieue pavillonnaire.

L'élaboration romanesque

Pierre Péju dans Naissances, s'interrogeant sur la nécessité d'écrire, y voit un désir de dire le cours de la vie – cette réalité illusoire -, mais il insiste sur une autre exigence : « Écrire, c'est vouloir distinguer à travers les mots ce qu'en réalité on ne peut voir : naissance et mort, apparition et disparition fulgurantes des êtres. » Son livre est, par ailleurs, une suite de cinq récits où mort et naissance se conjuguent.

Cependant, l'élaboration romanesque peut se présenter sous des formes multiples, mais toutes interrogent le rapport même de l'écriture aux possibilités de recréation d'un réel et suggèrent, à défaut des certitudes disparues, ces résonances de l'inconcevable que l'on baptise absence ou néant. Toutes suggèrent une exigence de l'esprit qui demeure à l'affût des reflets sur le miroir de la page où s'inscrit déjà notre disparition.

Dans Missing de Claude Ollier, la traversée du Canada ne fait que confirmer la mouvance de l'existence et la seule recherche possible est celle de « l'essence du lieu de l'éphémère ». Olivier Rolin, avec un livre remarquable, Méroé, nous conduit au Soudan, tissant l'histoire de trois exils et la recherche d'une femme imaginaire. L'intrigue a son épicentre en un lieu où la civilisation de l'Égypte pharaonique survécut et dissimule « une histoire qui a autant de sources que le Nil ».