De telles populations cellulaires pourront-elles être obtenues chez l'homme, comme certains travaux scientifiques préliminaires le laissent aujourd'hui penser ? Plus fascinant encore : pourra-t-on, dans un proche avenir, fabriquer de véritables organes en culture, cœur, foie ou poumon ? Les avancées en matière d'embryogenèse sont telles que rien, scientifiquement, n'interdit de le penser. Seraient ainsi résolus, tout à la fois, les problèmes de compatibilité entre donneurs et receveurs, et le gigantesque déficit d'organes dont souffrent les hôpitaux du monde entier. Mais, si prometteuse soit-elle pour la médecine, cette perspective n'en pose pas moins un redoutable problème éthique. Quel serait, en effet, le statut de l'embryon humain promis à une telle destinée ? Peut-on considérer celui-ci comme un objet, uniquement dévolu à un usage médical ? Pour Axel Kahn, ce simple fait est suffisamment grave pour justifier que l'on renonce à une telle démarche, qui aboutirait à « une instrumentalisation pure et simple de la personne humaine, et même de son projet qu'est l'embryon ».

Autre argument avancé par les défenseurs du clonage humain : cette technique offrirait un ultime recours aux couples atteints des formes de stérilité les plus sévères. À première vue, rien que de très logique à cela. Vingt ans après la naissance en Grande-Bretagne de Louise Brown, le premier bébé-éprouvette, la capacité d'agir sur la reproduction humaine ne cesse d'augmenter. Pourquoi pas, dès lors, y adjoindre les possibilités offertes par cette nouvelle technique ?

On aurait tort, toutefois, de considérer le clonage comme une nouvelle étape dans la longue liste des progrès de la procréation médicalement assistée. À la différence de l'insémination artificielle, de la fécondation in vitro, de la congélation de cellules sexuelles ou d'embryons humains, il s'agit ici, pour la première fois, de s'affranchir totalement de la reproduction sexuée. Autrement dit de décider du capital génétique qui sera donné au futur être humain ainsi conçu.

Même si l'ensemble des potentialités d'un individu ne se résument pas, loin s'en faut, à l'ensemble de ses gènes, le recours à la technique du clonage en tant que moyen de reproduction humaine serait, pour Axel Kahn, « un crime contre la dignité de l'homme ». « Dans les contes de fées, il y a souvent un méchant magicien qui transforme le héros, par exemple le prince charmant, en crapaud. Quand bien même ce magicien n'a pas d'emprise sur le fond, sur la personnalité, sur l'esprit, son pouvoir est considérable. Celui qui a la maîtrise de la forme assujettit celui qui est maîtrisé », précise-t-il.

Le professeur américain Lee Silver (université de Princeton), quant à lui, est favorable au clonage humain pour résoudre certains cas de stérilité. Mais il dénonce un autre danger : celui de voir le clonage associé au génie génétique, cette technique redoutablement puissante qui permet désormais de « bricoler » à sa guise n'importe quel patrimoine héréditaire. « Avec le génie génétique, les riches pourront offrir à leurs enfants des avantages génétiques, tandis que les pauvres ne pourront pas avoir accès à cette technologie, prévient-il. Ces deux classes sociales pourraient ainsi se transformer en deux classes génétiques, et l'on pourrait même aboutir à deux races différentes d'êtres humains ; ceux qui ont été améliorés génétiquement et les autres. Pour la première fois, nous avons la perspective de façonner notre propre évolution, de choisir les gènes que nous voulons transmettre à nos enfants. Avec le clonage, nous avons le pouvoir d'entamer cette transformation dès maintenant. » Le pouvoir, autrement dit, d'effectuer un choix de société d'une gravité et d'une portée philosophique sans précédents.

Catherine Vincent
Journaliste au Monde

Bibliographie
Axel Kahn et Fabrice Papillon, Copies conformes, le clonage en question, Nil Editions, 1998.