La multiplication, en métropole, des prises de position en faveur des Noirs provoque en retour chez les planteurs d'ardents plaidoyers pro domo où apparaissent les thèses de l'inégalité entre les races justifiant le droit d'asservir les hommes de couleur et la nécessité de maintenir l'esclavage pour éviter la flambée des prix des produits coloniaux. Certains défenseurs de l'esclavagisme n'hésitent pas à prétendre que les Africains ne sont pas des êtres humains, mais des bêtes sauvages.

La première abolition

À la veille de la révolution de 1789, le royaume de France tire des îles d'Amérique et de l'océan Indien une grande partie de sa richesse, aussi les dirigeants se refusent-ils à toucher à ce qui est à l'origine de la prospérité des colonies. La suppression du système esclavagiste aurait pour conséquence la ruine, sinon la perte des colonies. Cet argument sera systématiquement opposé aux mémoires déposés par les Amis des Noirs au bureau de la Constituante pour faire inscrire à l'ordre du jour de cette assemblée la question de l'esclavage. Depuis la promulgation en août 1789 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le sort réservé aux esclaves et aux hommes libres de couleur est désormais insupportable aux consciences humanistes. « Périssent les colonies, plutôt que les principes ! », s'écrie en vain Robespierre à la barre de l'illustre assemblée. Le mot est resté célèbre. Il retentit sur les habitations comme un glas annonçant la fin du monde. Pourtant, l'Assemblée n'épouse pas les conclusions de Robespierre, ni la suivante. Les protestations des humanistes resteront sans effet.

Elles le demeureront jusqu'à l'insurrection générale des esclaves survenue à Saint-Domingue en août 1791, qui amènera les émissaires de la première République, Sonthonax et Polverel, à proclamer la liberté immédiate et sans condition des 500 000 esclaves de la colonie, le 29 août 1793. Quelques mois plus tard, en présence des trois députés élus par les Dominicains, la Convention entérine cette proclamation et l'élargit à l'ensemble des colonies par le décret du 16 pluviôse an II (4 février 1794).

Ce décret est abrogé huit ans plus tard par le Premier consul, Bonaparte, qui rétablit l'esclavage en 1802 (loi du 27 floréal an X). Cette mesure provoque aussitôt le soulèvement des Noirs. Si le sort des armes leur est défavorable à la Guadeloupe, il n'en est pas de même à Saint-Domingue, où les insurgés parviennent à vaincre les troupes esclavagistes du général Leclerc et à proclamer en 1804 l'indépendance de l'île devenue Haïti.

Bernard Lehembre