L'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises

La commémoration du cent cinquantième anniversaire de l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises a suscité en 1998 de nombreuses manifestations, tant dans la France métropolitaine que dans les départements d'outre-mer. Pour la plupart des organisateurs, cet anniversaire a été l'occasion de souligner le rôle historique des révoltes déclenchées par les esclaves dès l'annonce de la chute de la monarchie de Juillet, à la Martinique et à la Guadeloupe, et d'appeler à la reconnaissance universelle de la traite comme crime contre l'humanité perpétré par les Européens sur le continent africain.

À la différence de la commémoration du centenaire, célébrée en 1948, on rendra moins hommage, cette fois-ci, à la philanthropie vertueuse des abolitionnistes de 1848 qu'à leur lucidité politique, qui leur a dicté d'agir promptement pour éviter un soulèvement général de la population servile et épargner aux colonies les bains de sang de sinistre mémoire survenus à Saint-Domingue en 1791. L'action du sous-secrétaire d'État à la Marine chargé des Colonies, Victor Schœlcher, est à cet égard exemplaire. C'est en effet lui qui convainc Arago, le ministre de la Marine du gouvernement provisoire, de prendre de toute urgence des mesures en faveur des esclaves. Le 4 mars 1848, une commission chargée de préparer l'acte d'émancipation dans toutes les colonies de la République est donc instituée et placée sous son autorité. Les travaux de cette commission aboutissent, le 27 avril suivant, à la publication à Paris du décret d'abolition signé par Schœlcher. Deux mois plus lard, la liberté est effective dans les colonies d'Amérique. Elle le sera le 20 décembre à l'île de la Réunion. Le décret du 27 avril, objet de nos jours de toutes les célébrations, fait accéder à la citoyenneté de plein droit quelque 250 000 Noirs.

Victor Schœlcher (1804-1893)

Schœlcher, républicain, membre de la franc-maçonnerie, est un abolitionniste obstiné qui connaît parfaitement l'univers concentrationnaire des colonies. Depuis 1835, date de l'émancipation des esclaves dans les colonies britanniques, il mène campagne sur campagne en faveur de l'éradication de l'esclavage. La proclamation de la république en février 1848 l'encourage à agir auprès de ses amis du gouvernement provisoire. Ceux-ci partagent son combat, mais ils pensent que c'est à la future assemblée constituante de régler cette question. Bien informé de la situation dans les îles, Schœlcher plaide l'urgence de la mesure à prendre dès le 3 mars. Le lendemain, Arago le nomme à la tête d'une commission chargée de préparer l'émancipation. Il lui faudra encore 54 jours pour emporter l'adhésion des membres de la commission et signer l'acte d'abolition du 27 avril. Il était temps car, à la Martinique, les Noirs avaient déjà pris les devants et forcé le gouverneur à les libérer le 22 mai. Schœlcher sera élu député de la Martinique et de la Guadeloupe en 1848, puis en 1871. Depuis 1948, il repose au Panthéon.

Le régime de l'esclavage aux îles

Tel qu'il se présente au moment de l'abolition, l'esclavage est en place depuis trois siècles sur l'ensemble des territoires coloniaux, de la mer des Caraïbes et de l'océan Indien. Il a vu le jour sous la monarchie, au xviie siècle, à une époque de grande ferveur chrétienne. D'abord toléré comme instrument d'oppression utilisé par les conquérants français contre les populations autochtones des îles caraïbes, il s'est vite imposé comme système d'exploitation de la main-d'œuvre noire déportée par les compagnies de commerce et de navigation se livrant à la traite des captifs sur les côtes d'Afrique depuis le milieu du xvie siècle. Peu de temps après la mort de Colbert, son instauration est légalisée par un édit royal, promulgué en mars 1685, et communément désigné sous le nom de Code noir.

Les colons français adoptent, à l'instar des colons portugais et espagnols, l'esclavage pour modifier l'économie de subsistance qui prévaut chez les peuples indigènes et créer des domaines agricoles pour l'acclimatation de plantes importées – cacaoyers, caféiers et cannes à sucre. Les Caraïbes n'étant pas des peuples cultivateurs, les colons choisissent d'employer aux travaux de défrichage et aux cultures des Africains. La mise en valeur de grands domaines agricoles, appelés « habitations », se réalisera donc en recourant à la main-d'œuvre servile. Celle-ci, vendue aux enchères sur les marchés aux esclaves, est destinée à travailler à vie sans salaire sur des plantations organisées en camps de concentration, sous la houlette de commandeurs impitoyables, le plus souvent recrutés parmi les créoles : l'ordre règne sous l'empire du fouet. L'univers de l'esclavage est un univers qui doit être bien clos pour pouvoir durer. Voilà pourquoi les îles, qui n'exigent pas d'imposants travaux de fortification pour retenir les fuyards, ont été propices à son instauration : un simple chemin de ronde et une garnison permanente de soldats suffisent à leur surveillance.

Le Code noir

L'édit de mars 1685 est un des textes juridiques les plus importants de l'Ancien Régime. Œuvre de Colbert et des intendants Patoulet et Bégon, il a pour objet de renforcer le pouvoir central dans les colonies en mettant fin à l'arbitraire des maîtres. À partir de son entrée en vigueur, ces derniers ne peuvent plus condamner à mort et mutiler, ni même emprisonner leurs esclaves sans jugement régulier. Ils conservent toutefois le droit de fouetter, enchaîner et mutiler tous ceux qui prennent la fuite plus d'un mois, en les marquant, essorillant ou amputant. Ce code demeurera jusqu'en 1848 le texte de référence de la législation esclavagiste.

Les tarifs du bourreau

Pour pendre : 30 livres