Journal de l'année Édition 1998 1998Éd. 1998

Courte défaite, grands effets : battue de justesse, la droite française sort structurellement brisée de l'épreuve électorale, comme si elle n'avait ces dernières années réussi à ne tenir debout que par le miracle de sa participation aux affaires et de sa présence fédératrice au gouvernement. Abasourdie par un coup du sort qu'elle prévoyait mais qu'elle n'avait pas vu venir aussi vite ni partir de là où il lui fut asséné, la droite ne sait plus en cette fin d'année 1997 à quels saints se vouer, à quels partenaires s'allier, à quelles idées s'identifier et à quelles procédures d'arbitrage se soumettre.

La droite hésite sur les hommes. Le loyalisme néomonarchique qui l'habite depuis l'avènement de la Ve République lui interdit de s'écarter du chef de l'État, fût-il vaincu. Très vite, Philippe Séguin (ci-dessus, entre Édouard Balladur et Alain Juppé) s'impose comme président du RPR, mais c'est Juppé et non pas Chirac qu'il remplace. La question du chef suprême reste entière. L'opposition serait au reste bien en peine de se donner une procédure légitime de sélection d'un nouveau leader et ses dirigeants paraissent enfermés pour l'éternité dans une sorte de huis clos sartrien. Les effets combinés de la défaite et de l'individualisme font de la guerre des droites une incessante et dérisoire conspiration des ego. La droite hésite sur les idées. Perdus entre les attentes de l'élite et les craintes du peuple, entre la liberté et l'autorité, entre l'Europe et la nation, entre le protectionnisme et la mondialisation, ses dirigeants dansent en permanence une valse-hésitation devant l'avenir qui ne leur vaut ni la confiance des humbles ni la considération des puissants.

La droite hésite sur ses alliances. La gauche l'a accusée de complaisance à l'égard du Front national, accusation injuste dans la mesure où le RPR et l'UDF ont tenu bon face au chant des sirènes de l'extrémisme et ont payé cette fermeté au prix fort même s'il est faux d'attribuer sa défaite législative au seul maintien au second tour de soixante-dix candidats du Front national. Accusation peut-être prémonitoire, toutefois, si l'on en juge par les déclarations de plus en plus nombreuses de responsables RPR et plus encore UDF sur l'assouplissement souhaitable de l'ostracisme frappant l'extrême droite.

Bref, la droite va mal, très mal même. Heureusement pour la gauche car, si les modérés sont au bord de l'explosion, les socialistes sont déjà guettés par l'usure. Certes la conjoncture économique s'améliore, certes l'habileté du Premier ministre fait merveille, certes l'adéquation paraît grande entre les attentes confuses de l'opinion et les discours suaves de la majorité plurielle, mais l'expérience nous enseigne que les états de grâce ne sont pas éternels, les sondages nous indiquent que la popularité de M. Jospin, après six mois de présence à Matignon, est bonne mais n'a rien d'exceptionnel, l'Asie nous invite à douter de la pérennité de la croissance et, par-dessus tout, la chronique électorale nous rappelle qu'une majorité, si massive soit-elle, n'a jamais réussi depuis 1978 à survivre à deux rendez-vous successifs avec le corps électoral. Oui, c'est décidément la droite qui demeure l'arme absolue de la gauche.

Le système en débat

Au-delà toutefois de ce combat droite-gauche qui domine la scène depuis plus d'un quart de siècle, c'est désormais la République elle-même qui tend à devenir l'enjeu principal du débat. La troisième cohabitation est en effet d'une nature différente des deux autres. La cuvée Jospin 97 comporte des effets assurément plus déstabilisateurs pour la République gaullienne que la cuvée Chirac 86 ou encore que la cuvée Balladur 93. Et cela pour trois raisons. C'est un fait d'abord que les élections législatives de 1997 ont été provoquées par le chef de l'État et se sont alors transformées en une confrontation directe entre celui-ci et l'opposition parlementaire : l'échec du RPR et de l'UDF a sonné comme un échec personnel du Président, plus proche par sa signification du désaveu infligé par le peuple à Valéry Giscard d'Estaing en 1981 que de la défaite, à terme échu, de la gauche parlementaire en 1986. Les Français ne savent plus beaucoup leur histoire mais ils conservent, inscrit au cœur de leur mémoire reptilienne, le souvenir des dissolutions malheureuses de Charles X, de Mac-Manon et de Millerand. Pour être légitime en France, la dissolution se doit de réussir.