La rentrée à la télévision

Chaque rentrée donne l'occasion à la télévision de s'apparenter un peu plus à l'univers du football en fin de saison. La rubrique des transferts prime désormais sur les grilles, les programmes, les nouveautés. Si, en 1996, le va-et-vient des animateurs-producteurs et, à la clef, les chiffres de leurs contrats avaient fait les gros titres, la concurrence s'est jouée cette année autour de l'information. Un jeu de chaises musicales dont le grand perdant fut Bruno Masure, présentateur préféré des téléspectateurs mais écarté du journal de 20 heures de France 2. Son remplacement ne semble cependant pas en mesure d'éviter la spectaculaire évasion de téléspectateurs : selon un sondage Médiamétrie publié en mai, 1,3 million d'entre eux manquaient à l'appel des grandes chaînes généralistes par rapport à 1996.

La valse des stars de l'information

La « quête de sens » annoncée l'an dernier sur TF1, formule qui avait fait sourire, se serait-elle enfin manifestée ? Lagaf', Morandini, Pradel, Bouvard et Dorothée, anciens piliers de la chaîne, ont disparu de la grille, qui s'est ouverte pour Michel Field. Le transfert le plus inattendu de la saison. L'ancien prof de philo dont l'image de trublion intellectuel collait assez bien à Canal Plus s'est vu offrir carte blanche et tapis rouge pour succéder avec « Public » au « 7/7 » de Anne Sainclair, devenue directrice générale adjointe de l'antenne. Des débuts mitigés pour Michel Field avec des audiences moyennes de 22 %, loin des 26 % enregistrés par l'épouse du ministre des Finances (après une émission orageuse avec François Léotard, l'audience de l'émission remontera spectaculairement).

Sur France 2, l'arrivée d'Albert Du Roy, ancien éditorialiste de l'Événement du Jeudi, marquait la priorité annoncée de renouveler l'information et de redynamiser un journal de 20 heures qui, depuis 1996, a perdu 500 000 téléspectateurs. Le nouveau projet rédactionnel prévoyait donc des journaux moins suivistes par rapport à TF1, moins « populistes » avec un présentateur s'effaçant davantage devant les spécialistes de la rédaction ou des consultants extérieurs. Quelle ne fut pas la surprise lorsque la chaîne annonça mi-septembre que Bruno Masure, présentateur le plus apprécié du public, était écarté du journal du soir au profit de Béatrice Schönberg, transfuge de... TF1. Une éviction difficilement compréhensible et largement commentée par le premier intéressé, « profondément amer ». Pour sa part, la direction de la chaîne publique se borna à « assumer cette décision ». Que reprochait-on à Masure ? Une certaine usure après treize années de journal ? Une trop grande indépendance d'esprit ? Un humour et une décontraction de dandy ? Ces questions demeurèrent sans réponse même si les deux derniers « reproches » avaient plutôt tendance à séduire les Français.

Dans le même registre et sans plus d'explications, Henri Sannier, dont le journal de la nuit sur France 3 obtenait d'excellents résultats, fut lui aussi débarqué et recasé à la présentation de « Tout le sport » bien que, de son propre aveu, il ne connaisse pas grand-chose aux joutes sportives...

Toujours au chapitre de l'information dans le service public, retour de Paul Amar avec « D'un monde à l'autre » sur France 2 et arrivée sur France 3 de Patrick de Carolis, ex-directeur de l'information de M6 dont la mission est de coordonner l'ensemble des magazines de cette chaîne. Un transfert qui déboucha immédiatement sur une remise en cause de la périodicité hebdomadaire de « La marche du siècle ». Au terme d'un psychodrame comme sait en générer l'audiovisuel, une solution de compromis aboutit à un rythme bi-mensuel pour l'émission de Jean-Marie Cavada en alternance avec d'autres magazines.

Alternance en douceur par contre sur Canal Plus où Guillaume Durand succéda à Philippe Gildas dans le fauteuil d'un « Nulle Part Ailleurs » plus ouvert sur l'actualité. De son côté, Gildas a pris la place de Michel Field pour présenter « L'hebdo » rebaptisé « Le grand forum », et Jérôme Bonaldi reprend à son compte « La grande famille » devenue « Tout va bien ». La chaîne cryptée continue à naviguer loin des tempêtes médiatiques.

Où sont passés les téléspectateurs perdus ?

Vent de panique au printemps chez les annonceurs. En France, mais aussi en Espagne, en Italie, au Portugal et au Royaume-Uni, des millions de téléspectateurs manquaient à l'appel. Disparus. Volatilisés. Chez nous, la baisse d'audience était évaluée à – 2,8 %, soit 1,3 million de personnes « petits consommateurs de télé issus de deux catégories très précises, les 15/24 ans et les socioprofessionnels élevés », désormais attirées vers d'autres loisirs... ou d'autres chaînes. En vrac, on accusa la météo particulièrement clémente puis le câble ou le satellite. Le succès des « bouquets numériques » lancés par Canal Plus, TF1 ou AB Production, le raz de marée sur le décodeur numérique de La Lyonnaise Câble (90 000 vendus fin 1997 alors qu'elle tablait sur 100 000 fin 1998) démontrent qu'un certain nombre de téléspectateurs avertis ne se contentent plus de la seule offre généraliste. Lassés du peu d'audace des programmes, les rediffusions de films archiconnus, ils se tournent vers d'autres offres, mais se montrent à nouveau fidèles lorsque les chaînes généralistes savent prendre des risques. En témoignent les succès des séries « Urgences » et « PJ » diffusées en prime time par France 2 (26 % et 23,3 % d'audience) ou « Les filles du maître de chai » sur France 3 (23,2 %).