Journal de l'année Édition 1998 1998Éd. 1998

Premier succès du lanceur européen Ariane 5

Dix-sept mois après l'échec de son premier vol de qualification, le lanceur lourd européen Ariane 5 a réussi, le 30 octobre, à placer en orbite sa charge utile, constituée de deux plates-formes d'instruments de mesure et d'un petit satellite technologique. Le succès de ce second vol d'essai a redonné confiance à l'Europe spatiale et lui ouvre de nouvelles perspectives alors que s'intensifie la concurrence internationale sur le marché des lanceurs de satellites.

De l'avis de tous les commentateurs, l'Europe n'avait, cette fois-ci, pas droit à l'erreur. Il lui fallait absolument effacer la terrible déconvenue du vol inaugural d'Ariane 5, le 4 juin 1996, où la nouvelle fusée européenne avait explosé 37 secondes après son décollage, à la suite d'une défaillance informatique des centrales inertielles assurant son pilotage.

Pour éviter à tout prix un second échec, les partenaires industriels du programme n'ont pas ménagé leurs efforts. L'ensemble du lanceur a été passé au crible, à la recherche du moindre dysfonctionnement. Des modifications ont été apportées à certaines pièces pour les rendre plus résistantes à diverses pannes. De nombreuses imperfections ont été corrigées. Des vérifications ont même conduit à remplacer le gros moteur Vulcain du premier étage monté initialement sur le deuxième spécimen de la fusée, après la découverte d'un défaut de fabrication sur un autre moteur de la même série. La multitude de vérifications et de contrôles effectués a provoqué à plusieurs reprises le report du lancement. Mais tous ces efforts n'ont pas été vains.

Un vol satisfaisant mais pas parfait

Le 30 octobre, après trois quarts d'heure de suspense dus à un problème mineur dans les opérations de commutation électrique entre le sol et la fusée, le compte à rebours a repris pour son ultime séquence. À 13 h 43 UT (10 h 43 à Kourou, 14 h 43 à Paris), le lanceur a arraché ses 740 tonnes du sol, dans un panache de fumée et un bruit assourdissant. Puis les différentes phases du vol se sont succédé comme prévu : deux minutes après le décollage, séparation des deux énormes propulseurs à ergols solides (une étape cruciale, testée en vol pour la première fois) ; au bout de trois minutes de vol, largage de la coiffe ; dix minutes après le décollage, allumage de l'étage supérieur chargé d'assurer l'injection sur orbite ; enfin, après vingt-sept minutes de vol, satellisation de la charge utile, constituée de deux maquettes de satellites porteuses d'instruments d'analyse du comportement en vol du lanceur, Maqsat-H (masse : 2,3 t) et Maqsat-B (1,4 t), et du petit satellite technologique Teamsat (350 kg) destiné aux radioamateurs.

Pour son deuxième vol de qualification, Ariane 5 a donc rempli sa mission, à la plus grande satisfaction de l'Agence spatiale européenne, dont les États membres ont investi environ 40 milliards de francs dans le programme depuis 1987, et des quelque 150 firmes européennes (occupant 6 000 salariés) impliquées dans la fabrication du lanceur. La plupart des craintes des techniciens ont été levées, notamment en ce qui concerne le comportement des propulseurs à poudre et leur séparation d'avec l'étage principal de la fusée. Cependant, un mouvement de roulis intempestif de l'étage principal après la séparation des deux propulseurs à poudre a ralenti la vitesse du lanceur ; aussi la charge utile a-t-elle été satellisée sur une orbite plus basse que prévu. De plus, l'étage principal, qui devait retomber dans le Pacifique, au large des côtes de l'Amérique centrale, a plongé quelque 8 000 km plus à l'ouest, au nord de la Nouvelle-Guinée, et n'a donc pu être localisé et repêché pour expertise. Enfin, les deux gros propulseurs à poudre (31 m de long, 3 m de diamètre, 40 t), retombés, comme prévu, à 400 km environ des côtes guyanaises, ont coulé avant d'avoir pu être repêchés, les parachutes chargés de freiner leur descente dans l'atmosphère ne s'étant pas ouverts. Plusieurs mois seront nécessaires aux spécialistes pour dépouiller le flot de données recueillies lors du vol par les quelque mille capteurs disposés sur la fusée et procéder à toutes les améliorations qui s'imposent avant le troisième vol de qualification (prévu au printemps 1998), en principe le dernier avant qu'Ariane 5 n'entame sa carrière commerciale.

La relève progressive d'Ariane 4

Dix ans exactement après qu'ait été prise, à la Conférence ministérielle de La Haye, la décision d'engager le développement d'Ariane 5, il est urgent pour l'Europe de disposer de ce lanceur lourd. Lui seul lui permettra de préserver sa compétitivité sur le marché mondial des lancements de satellites alors que s'intensifie la concurrence internationale. Dans un premier temps, la nouvelle fusée européenne sera utilisée en complément des Ariane 4. Capable d'embarquer une charge utile de 5,9 à 6,8 t, alors qu'Ariane 44 L, la plus puissante des Ariane 4, plafonne à 4,7 t, elle sera surtout chargée de placer en orbite des paires de satellites lourds : il est prévu de lancer 2 ou 3 Ariane 5 en 1998, 4 ou 5 en 1999, 5 ou 6 en 2000, et ainsi de suite jusqu'aux 8 tirs programmés pour 2002. Ce n'est qu'au-delà de cette échéance qu'Ariane 5 assurera complètement la relève des Ariane 4.