Journal de l'année Édition 1998 1998Éd. 1998

Bosnie, des élections sous haute surveillance

Au vu des premiers chiffres sortant des urnes, il apparaissait que les trois partis nationalistes – croate, serbe et musulman –, déjà vainqueurs en 1996 des premières élections générales d'après-guerre, étaient en passe de s'imposer à l'occasion du scrutin municipal des 13 et 14 septembre. Pourtant, au fur et à mesure que les résultats s'affinaient, on enregistrait un léger effritement de leur électorat au profit d'une opposition hétérogène.

Destinées à constituer des administrations locales dans 136 municipalités, les élections municipales en Bosnie-Herzégovine ont finalement été organisées « à l'arraché » par la communauté internationale, après avoir été reportées à quatre reprises. Un pari dont c'est peu d'écrire qu'il présentait des risques certains, eu égard aux pressions et aux moyens déployés. C'est ainsi que l'on a vu les États-Unis multiplier les navettes diplomatiques entre Belgrade, Pale, Banja Luka, Zagreb et Sarajevo afin de convaincre Serbes, Croates et Musulmans de respecter leurs engagements. Un contexte déjà tendu, aggravé par les tensions au sein de l'entité serbe entre les ultranationalistes de Pale – fidèles à Radovan Karadzic – et les légitimistes, partisans de la présidente Biljana Plavsic. Cette « guerre des chefs » a contraint la force multinationale à mettre en œuvre trois avions capables de brouiller les émissions des médias de Pale pour leur interdire de lancer des appels à la violence et à la rébellion contre les forces de l'OTAN. En plaçant le scrutin sous haute surveillance, la Force multinationale de l'OTAN (SFOR) et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en ont démontré l'importance : il s'agissait, in fine, de concrétiser la normalisation instaurée par les accords de Dayton (fin 1995) dans des domaines aussi sensibles que le retour des réfugiés et le partage des responsabilités et où le retard des engagements pris était pour le moins avéré.

Des manœuvres de dernière minute

Il suffisait que chacun recense les patronymes sur les listes électorales pour se faire une idée assez précise du rapport des forces, et donc des résultats probables du scrutin. Aussi, la veille des élections, les communautés serbe, croate et musulmane tentaient encore d'obtenir de l'OSCE de nouvelles concessions dans les secteurs clés. Ce furent les Serbes qui, pour améliorer leurs positions à Brcko, s'essayaient à des manœuvres de dernière minute, les Musulmans qui énonçaient des conditions pour Mostar, en brandissant la menace d'un boycott, tandis que les Croates promettaient que leur drapeau flotterait toujours sur Drvar, quel que soit le résultat du scrutin. Sans doute pour donner plus de poids à leurs manœuvres « diplomatiques », les nationalistes de toute obédience n'ont pas hésité à faire entendre des arguments plus détonants. La veille du scrutin, le centre-ville de Banja Luka, principale municipalité de l'entité serbe, était secoué par le fracas d'un engin qui explosait à proximité d'un véhicule de l'OSCE. Le même jour, un pont, que devaient emprunter des réfugiés musulmans pour aller voter en zone serbe dans le nord-est de la Bosnie, était à son tour endommagé par une bombe. Enfin, un engin détruisait les locaux du HDZ, le principal parti des Croates de Bosnie, à Sarajevo. En dépit de ces divers attentats, les élections se sont déroulées dans le calme : selon l'OSCE, qui avait déployé sur le terrain près de 2 500 observateurs, seulement 3 des 2 229 bureaux de vote n'avaient pas ouvert le dimanche 14 septembre ; tous trois situés à Zepce – une ville croate de la Bosnie centrale. Enfin, l'OSCE relevait un taux de participation supérieur aux estimations les plus optimistes.

Victoire en demi-teinte des nationalistes

La mobilisation s'explique par le vote massif des réfugiés (environ 800 000 en Bosnie). Quelque 35 000 d'entre eux avaient émis le désir d'aller voter là où ils habitaient avant la guerre. Il reste que, pour la majorité de ces candidats au voyage, le vote ne pouvait guère être autre chose qu'un prétexte pour revoir leur ancienne habitation : en dépit de la protection de la SFOR, beaucoup n'ont pas eu ce plaisir, les bureaux de vote étant très souvent installés à la périphérie des villes, voire en lisière des forêts.