Journal de l'année Édition 1998 1998Éd. 1998

Le programme du gouvernement de gauche

En faisant de l'emploi, et notamment de l'emploi des jeunes, la priorité de son action, en plaidant pour une relance salariale et en dénonçant l'Europe comptable de Maastricht, Lionel Jospin a mis le social au cœur de sa campagne. Rien de révolutionnaire – un brin moderniste (avec un pari sur les emplois nouveaux) et un brin traditionaliste (rejet des privatisations) –, mais le style Jospin – mélange de conviction, de rigueur affichée et de modestie proclamée – a su emporter l'adhésion d'un électorat désabusé et impatient.

Avec pour slogan de campagne « Changeons d'avenir », le projet de la gauche n'a rien à voir avec une nouvelle mouture des vieilles recettes du programme commun de 1981. À l'époque, on parlait de rupture avec le capitalisme, de redonner à l'État un rôle décisif, de nationaliser tous azimuts et d'étendre de façon spectaculaire les droits des salariés. Seize ans plus tard et après la pratique à éclipse du pouvoir sous les deux septennats de François Mitterrand, rien de tout cela. La gauche a appris à être modeste, à accepter les vertus de l'économie de marché et les limites de la planification. Le pragmatisme vole la vedette à l'idéologie.

Une gauche d'autant plus modeste que, lorsque Jacques Chirac annonce sa décision de dissoudre l'Assemblée, elle n'est pas prête. Certes, depuis l'élection présidentielle de 1995, Lionel Jospin s'est imposé comme son leader naturel. Mais, tout occupé qu'il est à rénover le PS pour lui redonner une crédibilité aux yeux de l'opinion, il veut donner du temps au temps pour réussir ce vaste chantier et n'a aucun intérêt à voir le calendrier électoral bousculé.

Sans doute, son parti a-t-il arrêté un programme et désigné ses candidats quelques semaines auparavant. Mais le programme n'est qu'un projet très général, repris en partie de ses thèmes de la campagne présidentielle, et les candidats – renouvellement politique oblige – sont des illustres inconnus. De plus, si des contacts existent avec ses partenaires de la « gauche plurielle », les communistes et les Verts notamment, rien n'est encore formalisé. Au moment où s'ouvre la campagne, le PC de Robert Hue n'en est-il pas à réclamer un SMIC à 8 500 F ?

Pour un « capitalisme social »

Sans renouer avec les vieilles lunes, mais en dénonçant le « capitalisme dur », la gauche va mettre au cœur de son projet, national et européen, le social. Elle fait de l'emploi, et de l'emploi des jeunes notamment, le fer de lance de sa campagne et n'hésite pas à jouer les iconoclastes en rompant avec la pensée unique sur l'Europe. « Je suis pour l'Europe mais pas pour n'importe quelle Europe. Ne comptez pas sur moi pour le strict respect des critères de Maastricht s'ils doivent imposer une nouvelle cure d'austérité au pays », martèle Lionel Jospin.

En réalité, le premier secrétaire du PS va surfer pendant cette campagne électorale sur la vague de désenchantement que connaît le pays après l'élection de Jacques Chirac à l'Élysée, en 1995. Les Français ont le sentiment d'avoir été trompés et que ceux qui les gouvernent sont à mille lieues de leurs préoccupations. On leur avait promis la réduction de la fracture sociale ? Après deux ans d'Alain Juppé à Matignon, rien n'a changé pour eux. Les promesses n'ont pas été tenues, le chômage continue à augmenter et la logique d'une Europe monétaire et financière, d'une Europe comptable, semble primer sur toute autre considération.

Fort de ce constat, de l'image de rigueur morale dont il bénéficie dans l'opinion, Lionel Jospin va jouer la carte du contrat de confiance avec elle sur le thème : « Je dis ce que je fais et je fais ce que je dis. » Et, inlassablement, il répète aux siens : « Pas de promesses que nous ne pouvons pas tenir. » Résultat : ce n'est pas le « grand soir » programmé mais des mesures concrètes s'étalant sur la durée de la législature.

L'épreuve du réel

C'est d'abord le Plan-Emploi-Jeunes, la priorité des priorités et la grande attente des Français. La création de 700 000 emplois, pour moitié dans le secteur public, pour moitié dans le secteur privé, réservés aux jeunes de moins de 25 ans par le biais de contrats à durée déterminée renouvelables pendant cinq ans. C'est l'annonce d'une relance salariale et d'une loi-cadre sur la réduction à 35 heures du temps de travail hebdomadaire sans diminution de pouvoir d'achat. C'est la convocation de tous les partenaires sociaux à la conférence sur les salaires, l'emploi et la réduction du temps de travail. L'Europe de Maastricht impose des privatisations et des restructurations, synonymes de plans sociaux ? Pas question de nationaliser, c'est passé de mode, mais la gauche arrête les privatisations en cours (Thomson, Air France...) et émet des réserves sur l'euro. Au sommet d'Amsterdam, une fois élu, Lionel Jospin, pour faire contrepoids au pacte de stabilité monétaire et de croissance, fera adopter un volet social au traité.