L'année Schubert

Le bicentenaire de la naissance de ce musicien qui occupe une place si particulière dans l'Olympe des compositeurs et dans le cœur des mélomanes a été marqué par de nombreuses manifestations musicales de grande qualité.

Certes, il ne fallait pas s'attendre à ce que ce bicentenaire atteigne l'éclat de celui de la mort de Mozart. Même si on peut le juger d'égale importance. Mais, malgré son impressionnante fécondité, Schubert s'est surtout illustré dans des formes discrètes et intimistes. C'est dans la mélodie, la mise en musique d'un poème que son génie monte au plus haut. Il n'a laissé aucun opéra célébrissime, dont la reprise fastueuse aurait pu mobiliser la critique internationale et déplacer les foules.

Les célébrations à l'étranger

Pour autant, sa contribution au genre (Schubert a écrit quatre opéras ou féeries musicales en plusieurs actes, six singspiels en un ou deux actes, et de nombreuses œuvres inachevées) n'a pas été oubliée.

Faute de reprendre Fierabras, tiré de l'oubli avec éclat en 1988, l'Opéra de Vienne a présenté durant les Wienerfestwochen, le grand festival du mois de juin, une nouvelle production d'Alfonso und Estrella, dans une mise en scène de Jürgen Flimm, sous la direction de Nikolaus Harnoncourt (avec Luba Orgonasova et Olaf Bär). Dans ce cadre fut donnée également, en version concert, la féerie Die Zauberharfe, alors que l'Opéra de Zurich venait présenter sa superbe réalisation du Teufels Lustschloss (le Diable et son palais des plaisirs), toujours sous la direction de N. Harnoncourt, dans une mise en scène de Marco Arturo Marelli, avec Eva Mei, Reinaldo Macias et Robert Holl.

En Suisse, c'est d'ailleurs Zurich qui a rendu le plus éclatant hommage à Schubert, aussi bien sur la scène de l'Opernhaus que dans la salle de musique de la Tonhalle, lors de récitals, de concerts symphoniques ou de musique de chambre. L'Orchestre de la Suisse romande, quant à lui, a donné durant le Festival d'Athènes, sous la direction d'Armin Jordan, une vibrante interprétation de la symphonie en do majeur, dite la « Grande » (D 944).

Salzbourg et Lucerne avaient choisi de confier certaines des pages de musique de chambre les plus représentatives du génie de Schubert à de grands solistes groupés, à Salzbourg, autour de Gidon Kremer, et à Lucerne, autour d'Andreas Schiff. Gérard Mortier avait de surcroît programmé l'intégrale des symphonies par Claudio Abbado, à la tète de l'Orchestre de chambre d'Europe, certaines étant même doublées par Muti, Norrington et Gardiner. Enfin, l'inventif et bouillant directeur du Festival de Salzbourg avait souhaité que les chanteurs inscrivent au programme de leur récital leurs lieder de prédilection. La palme revint à Renée Fleming qui, après Ann Murray, Hermann Prey et Thomas Hampson, disséqua avec une science et un charme infinis des lieder aussi rares que Viola, accompagnée au piano par Christoph Eschenbach.

Renée Fleming participa également au Week-end Schubert organisé par l'Opéra national belge et la Société philharmonique de Bruxelles, avec le concours de l'Orchestre symphonique de la Monnaie, sous la direction d'Olaf Henzold, de l'Ensemble Musiques Nouvelles, sous la direction de Patrick Davin, et du ténor Scot Weir dans la version de la Winterreise, repensée par Hans Zender.

En Allemagne, Berlin a rendu un hommage particulier à Schubert. À la Philharmonie, Claudio Abbado avait choisi de donner trois fois Fierabras, en version concert. À la Deutsche Oper, Götz Friedrich, pour sa part, a eu l'idée piquante de suivre le canevas de Das Viermäderlhaus. (Il faut se souvenir que, en 1916, le compositeur hongrois Heinrich Berté, élève de Bruckner, proposa au public viennois une opérette basée sur une biographie romancée de Schubert, en se servant de ses thèmes les plus connus. Das Viermäderlhaus devint très vite le plus grand succès commercial que Schubert ait jamais connu... L'opérette fut présentée en 1921 à Paris, sous le titre Chanson d'amour ou la Maison des trois jeunes filles. Elle fit le tour de la France et du monde, baptisée Lilac Time à Londres et Blossom Time à New York ! Pour l'Opéra de Berlin, un comédien lisait les souvenirs d'Anna et Kathi Fröhlich, ainsi que des textes d'Adorno, de Johann Mayrhofer et des poèmes de Grillparzer, alors que de jeunes musiciens interprétaient les pages de Schubert, mais telles qu'il les avait réellement composées !

Une exceptionnelle Belle Meunière

Parmi la production discographique motivée par le bicentenaire, un disque retient particulièrement l'attention : Die schöne Müllerin, par le haute-contre Jochan Kowalski et le pianiste Markus Hinterhäuser, pour la maison Cappriccio. Il devient banal d'admirer la musicalité de Kowalski et son intelligence dans l'énoncé d'un texte ; pourtant, son travail sur les vers de Wilhelm Müller et l'éclairage que leur confère la musique de Schubert font basculer notre imaginaire. Sa voix blanche, si intérieure et belle, rend la Belle Meunière pour ainsi dire fantomatique, la transforme en rêve d'impossible.

En France aussi

Franz Schubert est le dernier des grands romantiques viennois qui aient conquis la France ; difficilement, d'ailleurs, et selon des voies souvent étranges. Cela explique sans doute la résonance curieuse de ce bicentenaire. Si initiative il y eut, on en est pour une large part redevable à France-Musique qui, à l'instar d'autres radios européennes, organisa au sein de ses programmes un mini « Festival Schubert ». Festival d'un grand intérêt puisque y furent ainsi donnés en concert à la salle Pleyel, et retransmis sur les ondes, Fierabras (avec Soile Isokoski et Gunnar Gudbjornsson) et la création en version française du Château de plaisir du Diable (avec Ruth Ziesak, Michèle Lagrange, Rodrigo Orrego et Hans Sotin), accompagnés par le Chœur de Radio France et l'Orchestre philharmonique sous la direction de Marek Janowski, qui choisit de clore ce cycle Schubert par la Symphonie no 5 (D 485) et la Messe en mi bémol majeur (D 950). Pendant ce temps, et durant six mois, Mildred Clary présenta quotidiennement un feuilleton schubertien, « Le Wanderer », rediffusé l'été même.