Ce fut là, précisément, que le bât blessa. Des décennies durant, les cloneurs en herbe se heurtèrent à la même barrière : sur les amphibiens, et plus encore sur les mammifères, leurs efforts donnaient des résultats d'autant plus décevants que les cellules employées étaient âgées-autrement dit spécialisées. Dans le meilleur des cas, les œufs obtenus ne dépassaient pas le stade des premières divisions.

Il fallut attendre les années 80, et la maîtrise du transfert d'embryons d'animaux d'élevage, pour que la perspective du clonage se concrétise véritablement. En 1986, l'équipe britannique du docteur Willadsen (Cambridge) annonçait la naissance d'un agneau issu d'un « clonage embryonnaire par transfert de noyau ». Dans les années suivantes, la technique (qui, comme son nom l'indique, utilise des cellules embryonnaires et non pas somatiques) fut reproduite sur des femelles de plusieurs espèces : vaches, lapines, truies et chèvres. En 1993, l'institut français de la recherche agronomique (INRA) annonçait à son tour avoir obtenu par ce procédé, sous la direction de Jean-Paul Renard (Jouy-en-Josas, Yvelines), la naissance de cinq veaux à partir d'une seule cellule embryonnaire.

Entre les veaux de l'INRA et la naissance de Dolly, il y eut encore une étape. Franchie, déjà – et ce n'est pas un hasard –, par l'équipe du Roslin Institute d'Édimbourg. En 1996, l'équipe de Ian Wilmut présentait à la communauté scientifique deux agnelles, Megan et Morag, exactes copies génétiques l'une de l'autre. Fait remarquable, elles provenaient des cellules d'un embryon de mouton âgé de neuf jours, soit un embryon comptant plus de cent cellules déjà partiellement différenciées. Dolly, fille d'une cellule somatique entièrement adulte, était déjà en germe dans Megan et Morag... Il ne manquait plus que quelques mois de recherches, auxquels s'est peut-être ajouté, pour les chercheurs d'Édimbourg, ce « petit plus » que l'on nomme la chance.

Dolly, une vieille agnelle ?

Tombée au cœur de l'été 1997, l'information ne fit cette fois que peu de bruit. Et pour cause. Si elle se confirmait, elle mettrait à coup sûr un frein aux rêves grandioses de ceux qui considèrent déjà le clonage comme l'avenir de l'élevage animal. Mais elle fut donnée par celui qui a, dans cette affaire, le moins intérêt à jouer les oiseaux de mauvaise augure. D'après le créateur même de Dolly, l'embryologiste Ian Wilmut, l'agnelle la plus célèbre du monde pourrait sous certains aspects avoir l'âge de sa “mère” biologique. Non pas un, mais sept ans. Comme la cellule qui lui a donné naissance.

Mauvais scénario de film de science-fiction ? Pas si sûr. Si les études menées sur les chromosomes de Dolly sont encore préliminaires, elles laissent entendre que ces derniers présentent de légères modifications de structure, d'infimes altérations que l'on ne retrouve, en temps normal, que dans les cellules d'animaux nettement plus âgés. Ce qui, au plan biologique, n'aurait rien d'absurde. L'animal dont on fêtait en juillet 1997 le premier anniversaire pourrait en effet avoir gardé dans ses gênes la mémoire de ses origines : une cellule de glande mammaire prélevée sur une brebis adulte âgée de six ans.

Même si cette cellule a su redevenir embryonnaire et donner naissance à un organisme parfaitement constitué, aucun biologiste ne peut aujourd'hui affirmer qu'elle a perdu, pour autant, tout signe de maturité, et effacé de ses chromosomes toutes les marques du temps. Dolly connaîtra-t-elle, dans les années à venir, une sénescence précoce et accélérée ? Il est encore trop tôt pour le prédire. Si tel était le cas, la recherche ne s'arrêterait pas pour autant – ni même, sans doute, les applications du clonage animal. Mais il serait plus que souhaitable, pour ne pas dire indispensable, que les recommandations éthiques visant à interdire le clonage humain soient suivies d'effet.

De réelles perspectives économiques

Dès l'annonce de la naissance de Dolly, l'action de sa maison mère, la société privée PPL Therapeutics, s'est envolée à la Bourse de Londres. Au-delà de la prouesse fondamentale, la possibilité de cloner des mammifères comme on bouture des végétaux pourrait en effet avoir des conséquences importantes dans un domaine essentiel des biotechnologies, dans lequel s'est précisément spécialisée la firme PPL : la création d'animaux transgéniques.