Elle est née, la brebis clonée !

La nouvelle a éclaté en février 1997 et a fait l'effet d'un coup de tonnerre dans le ciel de la biologie. Dans le monde entier, les médias en ont fait leurs choux gras des semaines durant, les comités d'éthique l'ont retournée en tous sens dans le monde entier. Devant tant de tapage, l'opinion publique s'est émue. Puis tout est rentré dans l'ordre. La recherche continue.

Avec la naissance de Dolly a été franchie une étape essentielle dans l'histoire de la biologie. Pour la première fois, un mammifère (en l'occurrence une brebis) a été cloné de main d'humain à partir d'une cellule adulte prélevée sur sa « mère » biologique – soit, génétiquement parlant, sa copie conforme. Pour la première fois, la performance technique imaginée par Aldous Huxley en 1932 dans le Meilleur des mondes (1932) est devenue réalité. Des animaux sélectionnés sur des critères vétérinaires peuvent désormais être reproduits à volonté, et rien ne s'oppose plus, techniquement, à ce que le clonage soit demain pratiqué sur l'homme.

Portée à la connaissance du monde via la revue scientifique Nature du 27 février 1997, cette prouesse historique est l'œuvre d'un groupe de chercheurs écossais travaillant sous la direction de Ian Wilmut pour le Roslin Institute d'Édimbourg – établissement de recherche public – et pour PPL Therapeutics, firme privée spécialisée dans les biotechnologies. La technique, pour résumer, consiste à prélever une cellule dans les glandes mammaires d'une brebis adulte, puis à en extraire le noyau porteur du matériel génétique (ADN). Ce noyau, qui contient l'intégralité du patrimoine héréditaire de l'organisme, est ensuite fusionné, moyennant un léger choc électrique, avec un ovocyte (cellule sexuelle femelle) de brebis préalablement énucléé. Le tout est enfin réimplanté dans l'utérus d'une brebis porteuse, qui mènera à terme le développement d'une agnelle génétiquement semblable à la brebis d'origine.

Au plan scientifique, l'avancée est immense. Pour les biologistes, le fait que Dolly soit née d'une cellule adulte signifie en effet que l'impossible est devenu vrai : pour la première fois, une cellule adulte replacée dans un contexte favorable a pris à rebours le chemin de l'enfance. Déjà différenciée, cette cellule est redevenue totipotente – soit aussi puissante, quant à son pouvoir de création, qu'une cellule originelle.

Le clonage humain jugé inacceptable

Tous les biologistes le savent : si le clonage des ovins est réalisable, celui des êtres humains peut l'être également. « Le meilleur des mondes » est-il pour demain ? En 1993, déjà, une tentative de clonage d'embryon humain (qui s'était révélé porteur de graves anomalies chromosomiques) avait été effectuée et publiquement annoncée. Et le développement des techniques de la procréation médicalement assistée est désormais tel que le clonage ne peut qu'alimenter le désir de certains de créer, « à la carte », un enfant génétiquement semblable à eux-mêmes – à moins qu'il ne s'agisse, plus simplement, d'apporter une réponse thérapeutique à la stérilité.

Dès lors, où situer les bornes de l'inacceptable ? Confrontés à l'existence de Dolly l'agnelle, responsables politiques et comités d'éthique ont été à ce jour unanimes : le clonage humain, à quelque fin que ce soit, est inacceptable. Dès la nouvelle annoncée par les chercheurs écossais, le secrétaire général du Conseil de l'Europe, Daniel Tarchys, réagit en déclarant que cette réalisation scientifique, au demeurant « impressionnante », montrait « combien des règles plus strictes de bioéthique sont nécessaires ».

Aux États-Unis, où les lois sont très libérales en matière de manipulations génétiques, le président Bill Clinton fit rapidement savoir qu'il interdisait que des fonds fédéraux puissent être consacrés aux recherches sur le clonage humain. Et de se prononcer, dans la foulée, en faveur d'un moratoire volontaire de la communauté scientifique, en précisant que les hommes ne doivent pas « essayer de se prendre pour Dieu ». En France, le président Jacques Chirac a également saisi le Comité consultatif national d'éthique sur le problème du clonage des mammifères, et il s'est inquiété de savoir si les lois relatives à la bioéthique votées en 1994, qui font figure de modèle en Europe, permettaient d'éviter « tout risque d'utilisation de ces techniques de clonage sur l'homme ».

Une étape clé : le transfert d'embryons

La victoire mérite d'autant plus d'être savourée qu'elle représente l'aboutissement d'une longue quête, commencée il y a près d'un demi-siècle. Les chercheurs, en effet, étaient déjà persuadés dans les années 1950 qu'il devait être possible de reproduire un individu à partir d'une seule de ses cellules. Les progrès de la génétique aidant, on savait que chaque cellule somatique (non sexuelle) contient, dans son noyau, le double jeu complet de chromosomes constituant son programme génétique. Il suffisait donc, en théorie, de prélever un de ces noyaux et de l'introduire dans un œuf préalablement énucléé pour obtenir, à la naissance, un individu génétiquement identique au donneur. À condition, bien sûr, que la cellule somatique utilisée ait conservé ses potentialités d'origine, et qu'elle soit capable de se dédifférencier pour redevenir embryonnaire.