L'organisation des entreprises est profondément modifiée par la « médialisation », selon le néologisme inventé par Erik Izraelewicz (in le Monde qui nous attend, Grasset). Les possibilités de vidéoconférences, le télétravail, l'échange de données par les réseaux « Intranet », la multiplication d'objets nomades, tels que l'ordinateur portable ou le téléphone mobile, toutes ces innovations bouleversent la conception que l'on avait jusque-là du travail.

Mondialisation et libéralisme

Selon les libéraux, la réduction des dépenses publiques constitue le seul moyen de réduire le poids des prélèvements obligatoires sur l'économie et de redonner des forces aux entreprises françaises. Le « moins d'État » n'est pas une voie sans dangers. Il risque de conduire à des sociétés plus fragiles, car moins solidaires. Ajoutons que le calcul économique est contestable. Les pays dont les infrastructures sont les mieux entretenues et la protection sociale la plus sérieuse sont également les mieux placés pour attirer des entreprises étrangères.

De même, la mondialisation permet à certains de prôner une extrême flexibilité du travail. Ce dernier devient une marchandise comme une autre, dont le prix – le salaire – doit pouvoir être fixé librement. Le résultat est pourtant contre-productif : en développant la précarité et l'incertitude, on ne fait qu'affaiblir les sociétés et creuser ce que l'économiste Jean-Paul Fitoussi appelle le « déficit d'avenir ».

Davos, la Mecque de la mondialisation

La mondialisation a sa Mecque : Davos. Tous les ans, vers la fin du mois de janvier, une bonne partie de l'élite politique et économique mondiale se retrouve dans une station de ski suisse alémanique, Davos. Ces rencontres, encadrées par les meilleurs experts, sont organisées par le World Economie Forum, un organisme suisse présidé par un universitaire, Klaus Schwab. Vers la fin des années 80, l'élite de Davos, la première, a pris conscience de l'enjeu capital de la mondialisation. À écouter les participants à ce symposium, rien n'échappera au processus : tout devient global. Certaines interventions sont déroutantes. Il n'y a qu'à Davos que l'on peut entendre un orateur expliquer que si un groupe comme Alcatel ferme une usine de 1 000 personnes en France pour en ouvrir une autre de 5 000 salariés en Inde, « c'est finalement une bonne nouvelle en termes globaux ».

De rencontres en rencontres, ces hommes ont forgé une analyse commune de la mondialisation, un credo qu'ils récitent en chœur chaque année. La planète ira bientôt mieux, assurent-ils. Mais, attention, quel que soit son niveau de développement, un pays n'a qu'une seule façon de tirer son épingle du jeu de la globalisation : ouvrir ses frontières, déréglementer son marché du travail, réduire les dépenses publiques... Davos est devenu le laboratoire mondial des idées libérales. Une fois rentrés chez eux, les responsables d'entreprises ou de partis politiques distillent ensuite cette doctrine. Une sorte de pensée unique planétaire.

Mondialisation = américanisation ?

Force est de constater que le phénomène de la mondialisation coïncide avec le triomphe des États-Unis. Non seulement leur système économique est présenté comme « le » modèle à suivre, mais ils ont également une longueur d'avance en ce qui concerne la révolution du multimédia. Bill Gates, le patron de Microsoft aux airs de bon garçon, est considéré dans le monde entier comme un héros moderne. Face au messianisme américain (dont l'efficacité est renforcée par une conjoncture nationale flatteuse), face à la toute-puissance des marchés, les Européens reposent tous leurs espoirs sur l'euro, présenté comme un « bouclier ». Seule la poursuite du projet de monnaie unique permettra, selon eux, de préserver leur modèle économique redistributeur.

Les dangers du « MacMonde »

L'idéologie de la mondialisation porte en elle le danger d'entraîner des réactions antidémocratiques. Elle véhicule, en effet, des valeurs creuses, et conduit à des comportements de consommation standardisés. C'est ce que l'universitaire Benjamin Barber appelle le McWorld (contraction de McDonald, McIntosh, DisneyWorld) : un monde baignant dans la recherche du “fun”, dans lequel tous les habitants de la planète devraient aimer les Nike et la famille Simson, les pulls Benetton et le Coca-Cola, Madonna et MTV. L'omniprésence de ce McWorld entraîne des réactions identitaires, que Barber résume sous le nom de Djihad Les mouvements islamistes ne sont pas les seuls en cause : en France, le Front national, qui fustige les « bacilles du mondialisme », est aussi une manifestation du Djihad. Pour Barber, Djihad et McWorld forment une seule et même menace contre la démocratie.

Pascal Riche
journaliste à Libération

Bibliographie
Alain Mine, la Mondialisation heureuse, Plon, 1997.
Daniel Cohen, Richesse du monde, pauvreté des nations, Flammarion, 1996.
Erik Izraelewicz, Ce monde qui nous attend, Grasset, 1997.
Benjamin Barber, McWorld contre Djihad, Desclée de Brouwer, 1997.